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agressifs contre quiconque approchait leur maîtresse, friands en particulier des mollets rouges des cardinaux et fort capables de mettre en lambeaux la robe qui leur déplaisait, sans même respecter la doublure.

C’est là un coin d’habitude, de manie, d’affection, qu’il ne faut point omettre chez Joséphine : la curiosité et la passion des bêtes familières. Les singes, les oiseaux, les animaux rares de quelque espèce que ce soit, ne quittent point la Malmaison, mais il n’en va pas de même des nains ou des petits nègres qu’elle mène partout après elle : dès l’Italie, elle avait un petit nain chinois qui devint rapidement insupportable. Pour l’en débarrasser, Napoléon emmena en Égypte le nain qui, pendant l’expédition de Syrie, convaincu que le général n’en reviendrait pas, vola et vendit toute sa cave, « deux mille bouteilles de vin de Bordeaux délicieux. » Il y eut le nain que, un jour de 1803, Joséphine fit sortir d’un panier couvert dans le cabinet du Consul, fort peu flatté du spectacle : un nain de dix-huit pouces de haut, en uniforme complet de hussard. Il y eut une colonie de petits nègres : Baguette aîné, Baguette cadet, Damande, Hotelot, Suaire, Saïd ; et, tant qu’elle fut la consulesse, elle eut un petit nègre pour le siège de sa voiture et pour les métiers de page, quoiqu’il en eût tant coûté à Madame Dubarry d’avoir eu Zamore. Cela, sans préjudice des grands nègres mamelucks, poignard à la ceinture et sabre au côté, qui étaient des chasseurs à la mode nouvelle, ses deux mamelucks à elle : Marche-à-Terre et Ali. Plus tard, ce fut un petit sauvage de Bornéo que M. de Janssens avait ramené pour elle des Indes néerlandaises : un goût d’exotisme qui, sans doute, tient à sa race créole, mais qui aussi est dans la donnée du luxe au XVIIIe siècle ; un goût des bêtes qui vient à toute femme inoccupée et oisive, et lui donne l’illusion d’aimer quelque chose ou quelqu’un.


Le chien ayant fait ses gentillesses et ses petites grimaces, jamais plus tard que neuf heures, Joséphine se lève et entre dans son cabinet de toilette : c’est ici le royaume des femmes de chambre et, puisque Joséphine y passe trois heures de sa journée, il faut faire connaissance avec ces témoins principaux de sa vie. D’ailleurs, de femmes de chambre véritables, qui la servent effectivement, qui soient admises aux mystères, qui aient acquis et qui gardent sa confiance, bien moins qu’il ne semblerait et qu’on n’a dit. Celles qui jadis furent à la vicomtesse de Beauharnais et à