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visages changeans, aux habits pareils, personnel anonyme et sans individualité, comme le décor aussi est anonyme et sans localisation. Jadis, c’était devant la même toile de fond qu’au théâtre se déroulaient les tragédies quel qu’en fût le sujet : grec, romain, perse, thrace ou carthaginois ; les mêmes comparses, vêtus des mêmes oripeaux s’agitaient autour des personnages en vedette quels que fussent leur nom et leur nationalité : ils faisaient ainsi un fourmillement d’ombres pareilles sur le décor semblable. Quelque chose de cela se rencontre dans la vie impériale, où, par l’extérieur des choses, par la disposition des salles, par l’aspect des figurans, il est comme impossible de désigner avec certitude un lieu et d’indiquer une époque. Cela demeure vague, flottant, sans importance. Ici ou là, dans sa monotonie et sa régularité, sous l’inflexible pression de l’étiquette, au milieu de mannequins animés, l’existence se déroule sans plus laisser de traces aux murs que de souvenirs aux comparses… quelque chose de vain dont il reste des formules, des haillons, des pierres, rien.


I

Pourtant, dans ces Tuileries détruites, abolies, dont le souvenir déjà s’efface après bientôt trente années, il faut essayer de retrouver les emplacemens et de représenter le local. Cela est plus compliqué et plus difficile qu’on ne pense, car, dans la distribution, la décoration et l’ameublement de l’appartement de Joséphine, les transformations ont été continuelles de 1805 à 1809, et l’on n’a retrouvé jusqu’ici aucune représentation graphique qui en montre l’état à une date déterminée ; on ne saurait même dire avec certitude comme il était aménagé à l’époque extrême du divorce, car, de 1809 à 1852, pendant les quarante-trois années où il fut occupé d’abord par Marie-Louise, puis par le duc et la duchesse d’Angoulême, puis par le roi Louis-Philippe, la reine et les princesses, il ne semble point qu’on en ait pris aucun dessin documentaire ; avec Louis-Philippe, commença l’ère des transformations et des embellissemens, qui, poursuivis avec bien moins de respect encore sous le second Empire, eurent pour résultat de changer entièrement la physionomie intérieure d’un palais où il semblait qu’on se fût proposé d’effacer toutes les traces que Napoléon y avait laissées. On n’a donc ici de certitude que quant aux lieux mêmes et à leur appropriation.