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langues se rencontrent sans se mêler, la diplomatie ourdira ses intrigues et les passions religieuses s’agiteront.

Inaugurer l’église du Sauveur, — dont en 1869 son père décida la construction, — c’est le prétexte officiel du voyage de l’empereur. Mais ceux qui, depuis son avènement, ont suivi de près la politique de Guillaume II, cherchent le but caché et les secrètes intentions de ce souverain très moderne qui a fait des voyages un moyen de gouvernement. Comment le pèlerinage du Kaiser en Palestine est l’aboutissement d’un système et l’achèvement d : un dessein mûrement conçu ; comment son but depuis longtemps entrevu et désiré est d’appuyer solidement la prépondérance universelle de l’Allemagne sur le protectorat des chrétiens, et en particulier des catholiques ; comment enfin la politique allemande, nettement consciente de ses fins, a suivi les mêmes voies en Orient et en Extrême-Orient, c’est ce que, dans ces quelques pages, on se propose de montrer.


I

« Le pouvoir impérial implique le pouvoir sur mer ; l’un ne saurait exister sans l’autre. » En émettant, dans son fameux toast du 15 décembre, cet étrange solécisme historique, Guillaume II donnait la formule précise de la nouvelle politique allemande ; et son frère lui répondait : « Une grande époque est venue, époque importante pour la nation et pour la marine. » Si l’on sait découvrir sous les formules pompeuses du style impérial les vérités qu’elles enveloppent, les discours de Kiel marquent, comme se le faisait télégraphier de Londres la Gazette de Cologne, « un tournant de la carrière nationale de l’Allemagne. »

Après 1871, l’Allemagne unifiée était, par le prestige de ses armes et l’éclat de ses récens triomphes, au premier rang des puissances occidentales. L’Autriche était humiliée ; la France foulée, saignée à blanc ; la Russie occupée et « recueillie » chez elle ; l’Angleterre était maîtresse des mers, dominatrice des mondes nouveaux ; mais, sur le sol européen, nulle tête ne s’élevait plus haut que celle de la « Germania. » — Montée au premier rang par la force militaire, l’Allemagne s’efforça de n’en plus déchoir. Dans la dangereuse ascension des peuples vers l’hégémonie, il faut, pour ne point redescendre, monter sans cesse ; la fatalité précipite jusqu’en bas ceux qui s’attardent ou stationnent : ce fut