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chambres où l’on se tient à certaines heures et où l’on dort, comme les autres, les chambres où l’on reçoit ; mais, des unes aux autres, il n’y a que la différence de quelques meubles, et la banalité s’y accroît de la richesse des objets, de leur air de parade, du peu d’utilité dont ils semblent pour la vie, au point qu’on dirait un décor praticable seulement pour des êtres d’imagination et de rêve.

Où qu’elle se transporte, l’Impératrice trouve donc, — ou tant bien que mal on lui aménage, — un Appartement d’honneur et un Appartement intérieur. L’Appartement d’honneur se compose essentiellement : d’une antichambre, d’un premier salon, d’un second salon et du salon de l’Impératrice. Et, aux mêmes places, devant des meubles pareils, dans une hiérarchie invariable, les mêmes comparses, dans les mêmes costumes, remplissent les mêmes rôles, avec la même indifférence et la même régularité.

A la porte de l’antichambre à banquettes de velours d’Utrecht et plus tard de tapis de la Savonnerie, se tient, hallebarde en main, le portier d’appartement : en grande livrée, il porte sur son habit de drap vert à collet et à paremens de velours ponceau, décoré de brandebourgs, de galons et d’épaulettes d’or, un large baudrier tout brodé d’or, où pend une épée à dragonne d’or ; il est coiffé d’un chapeau bordé et gansé d’or, où est piqué un plumet blanc ; il est culotté de raz de castor l’hiver, de nankin ou de basin l’été. Beau costume qui ne coûte pas moins de 1 646 fr. 23 centimes ; aux jours ordinaires, avec galon plus étroit, ne couvrant pas les tailles, brandebourgs plus simples, chapeau presque uni, l’on est quitte de la petite livrée avec 498 fr. 50. Bel homme, gardant envers tous les mortels qui défilent devant lui sa sereine hauteur et sa dédaigneuse attitude, le portier d’appartement s’émeut seulement et frappe de la hallebarde au passage de Leurs Majestés, des princes et princesses, et des grands dignitaires. Les gens de livrée se dressent alors pour former la haie, et, si c’est l’Impératrice ou une princesse impériale, ils roulent un tapis au-devant de ses pas.

Très nombreuse, cette livrée comporte des échelons successifs que marquent les costumes. Au sommet, quatre valets de chambre partageant le service avec quatre huissiers d’appartement, ayant charge de garder les portes intérieures, d’allumer les bougies, de faire les feux et de ranger les sièges ; ils pénètrent, seuls de la livrée, dans l’Appartement d’honneur qu’ils ont le matin