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À ces cinq ans qui ont fait tout son règne d’impératrice, où seulement elle a joué son rôle, paru devant le peuple et tenu sa cour, le souvenir de Joséphine est si fortement attaché qu’elle aussi semble hors des temps et profite de cette pérennité. Les marques de son passage à Paris sont si profondément empreintes, si nombreuses et si vivantes qu’il ne vient point à la pensée qu’au moins ces cinq années, elle ait pu les passer ailleurs que dans la Ville, coupant à peine ce long séjour de villégiatures à Saint-Cloud et à la Malmaison.

Or, dans ces cinq ans, c’est à peine si elle a résidé douze mois à Paris ; elle a vécu treize mois à Saint-Cloud ; elle a employé plus de deux années à des voyages en France et hors de France ; elle est restée huit mois à la Malmaison, trois mois et demi à Fontainebleau, un mois à Rambouillet ; même, aucun de ces séjours, elle ne l’a fait de suite, d’affilée, avec une stabilité d’établissement : ces douze mois de Paris, c’est par des acomptes de deux, de trois mois au plus qu’elle les a pris : trois mois en l’hiver 1804-1805, deux mois en 1806, deux en 1807, trois en 1808, trois en deux fois en 1809 ; à Saint-Cloud, pour les treize mois qu’elle y est demeurée, il a fallu sept voyages ; à Rambouillet, cinq pour un mois. Durant ces cinq ans, elle a fait trois saisons d’eaux : deux à Plombières, une à Aix-la-Chapelle ; elle a parcouru deux fois les bords du Rhin, vécu près de six mois à Strasbourg et de quatre à Mayence ; elle a visité l’Allemagne, l’Italie, la Belgique, le nord, tout le midi et le centre de la France ; ses haltes à Paris et à Saint-Cloud, elle les a coupées chaque mois, par des déplacemens de deux, de cinq, de huit jours à la Malmaison. C’est une vie qui va, vient, s’agite en une course vertigineuse, comme jetée au tourbillon, possédée et roulée par lui. On halette à la suivre, à dénombrer ses couchées, à tracer un itinéraire. A chaque instant, le décor change à vue sur le coup de baguette du terrible magicien ; on remonte en voiture et l’on court à sa suite sous les claquemens de fouet, dans la poussière des grandes routes, dans le tumulte des roues sur le pavé sonore.


L’esprit s’épuiserait à noter inutilement des lieux, à trouver des formules pour décrire ces cadres où l’Impératrice apparaît. Aussi bien, cela est-il nécessaire ? Où qu’elle la porte, sa vie ne reste-t-elle point à peu près pareille et où qu’elle se montre, le cadre n’est-il point presque semblable ? Avec des noms divers