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De craintives lueurs scintillent sous les saules,
C’est la nuit aux cheveux flottant sur les épaules,
C’est la nuit qui se pâme en écoutant le cor,
C’est la nuit chaude et claire et folle, tout en or !

VII


C’est la nuit sans pudeur qui boit trop et qui chante,
La nuit voluptueuse et d’ailleurs pas méchante,
Toujours la jambe en l’air et la folie aux yeux,
La nuit jeune et dansante et qui fait peur aux vieux.
Elle allume un flambeau sur la nappe rougie,
Et crie, en se tenant à peine : « A moi l’orgie ! »
Aussitôt tout chancelle et tout semble crouler,
L’oiseau blanc du mystère est prêt à s’envoler,
Mais de ses yeux hagards la folle me regarde,
Et, tout épouvanté, je lui dis : « Ah ! prends garde.
Toi, toi, la nuit ! tu mens ; honte à qui te poursuit.
Bleu comme l’azur même est le cœur de la nuit. »

VIII


C’est la nuit horrifique, et la nuit maléfique
Où l’enfer s’est ouvert, où le diable trafique,
La nuit qui dans les fleurs nous verse le poison,
La nuit qui nous endort à jamais la raison.
C’est la nuit qui rit faux, c’est la nuit qui nous leurre,
C’est la nuit où l’on chante en attendant qu’on pleure,
C’est la nuit des remords et la nuit des sanglots,
Celle où Mary-Morgane apparaît sur les flots,
Celle où le désespoir est au fond de la joie,
La goule qui vous prend, la goule qui vous noie.
Arrière l’innocence et la pâle vertu !
Sur la plaine maudite un vent s’est abattu
Qui vous fait, malgré vous, frissonner jusqu’aux moelles,
Et dans l’azur honteux pâlissent les étoiles,
Au château de la mort quel hôte est attendu ?
Qui de nous va tomber dans le piège tendu ?