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fondation et sortit tout vif en 1698 des mains de maître Defresne, horloger fort réputé ; il n’a que deux cents ans tout juste ; c’est simplement un contemporain de Louis XIV.

On se rapproche encore plus des époques modernes en pénétrant dans la seconde cour. Les bâtimens qui l’entourent furent commencés au XVIIIe siècle et finis au XIXe. Tapissée de vignes grimpantes, fermée de trois côtés, la cour s’ouvre par le quatrième sur le jardin, opulent et fleuri, qui se prolonge, en verdoyans espaces, jusqu’aux remparts de la ville. En avant du jardin, un reposoir est dressé, avec des draperies rouges, beaucoup de guipures, de fleurs artificielles et de guirlandes en papier doré. À peu de distance, un trophée d’armes, une panoplie portant à son centre une cuirasse surmontée d’un casque, s’applique comme ornement de fête au-dessus d’une porte et rappelle que l’Hôtel-Dieu s’est fait honneur en tout temps de soigner les soldats de France : nos petits lignards et nos dragons y succèdent aux lansquenets du XVIe siècle, aux mousquetaires et aux gardes-françaises, aux volontaires de la Révolution et aux légionnaires du premier Empire.

Plus loin, il y a les dépendances, les magasins, le pressoir, les celliers aux vastes cuves que remplit périodiquement la vendange, car l’hôtel est fabricant de vins et le plus gros propriétaire vigneron de la contrée. Il possède à lui seul environ quatre cents ouvrées de vigne : les prix obtenus chaque automne par ses vins font règle pour les autres et déterminent la cote de l’année. Parmi les familles de paysans employées à mettre en valeur son domaine, certaines descendent authentiquement, m’a-t-on dit, de ses primitifs tenanciers. Depuis leur origine, ces dynasties rurales travaillent pour le compte de la bienfaisante demeure, participent à ses prospérités, à ses épreuves, et vivant dans son ombre, liées à elle par d’indestructibles attaches, semblent avoir acquis quelque chose de sa pérennité.

Il est un lieu où se résume l’histoire de l’hôtel : c’est la chambre du conseil, espèce de salle d’honneur, peuplée de souvenirs. Des lambris de chêne ciré, un mobilier pesant, des tapisseries à sujets bibliques, lui donnent une majesté sévère. Aux murs, quatre ducs de Bourgogne, Philippe le Hardi, Jean sans Peur, Philippe le Bon et Charles le Téméraire, figurent en effigie, mais un portrait de Louis XIV domine ces ombres de grands vassaux. Dans un coin, une porte basse en fer, à triple serrure, donne accès à la chambre des archives, sanctuaire difficilement accessible, où