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III

Le parcours des autres salles, c’est une promenade à travers les siècles. Chacun s’y est empreint en quelque chose : le XVe siècle a laissé çà et là des peintures de primitifs et parfois un Christ farouche, pleurant des larmes de sang ; la Renaissance se rappelle par ses bahuts et ses crédences, le XVIIe siècle par des meubles d’ornementation luxuriante et massive, le XVIIIe par ses tapisseries à sujets champêtres, ses bergerades, et par l’enroulement délicat de ses moulures. A mesure qu’on avance, ces styles divers prédominent alternativement ou se mêlent. En dehors d’un trait commun à chaque chambre de malades, — la présence d’un autel, qui lui permet de se transformer en oratoire, — la décoration des pièces est composite, et rien ne subsiste de la belle uniformité primitive. On cherche en vain les grands lits à courtines de lin et à couverture rouge, les six escabeaux pareils, « l’archebanc placé devant la cheminée et couvert d’un grand tapis rouge et de quatre carreaux aussi rouges, » enfin « la litière dorlotante, » qui garnissaient toutes les chambres de malades payans, l’hôtel étant à la fois maison de santé pour les riches et refuge des pauvres. Toutefois, dans chaque salle, à de rares exceptions près, un détail d’architecture ou de mobilier, une coutume attachée particulièrement à ce lieu, une tradition ou une légende fixée entre ces murs, nous reporte tout à coup dans un passé très haut.

Ainsi, dans le réfectoire des sœurs, une usance singulière se perpétue. A la Saint-Sylvestre, chaque sœur trouve sous son couvert trois francs, représentant ses honoraires de l’année. Par cette rétribution purement symbolique, Rolin a voulu signifier sans doute que, tout en confiant à des religieuses la garde de son hôtel, en les comblant d’égards et de privilèges, il n’entendait nullement se dessaisir en leur faveur, qu’il les prenait à son service, qu’il les tenait pour ses employées et entendait conséquemment gager leurs soins.

Ailleurs, on nous montre, au fond d’un âtre, quelques braises piquant de points rouges l’amas des cendres. S’il faut en croire une tradition, ce feu brûle là et s’est perpétué sans interruption depuis le jour de décembre 1451 où Rolin et Guigone firent solennellement l’inauguration de l’hôtel. En tout temps, des