Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 149.djvu/104

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

extirper son âme de la bouche, pour la jeter aux hurlans abîmes. Au-dessous de cette grande composition, le sanctuaire, séparé de la salle par une grille en bois ajouré, resplendit de marbres et de dorures. Mais qui nous rendra les trois autels à pinacles gothiques, les reliquaires d’or et de cristal où gisaient les ossemens de trente-deux saints et saintes, le « bel et somptueux » chandelier à sept branches, la croix gemmée, les châsses en forme de cathédrales, les coffrets émaillés, les groupes d’anges, le tombeau de Guigone, merveilleux ouvrage de cuivre, tous ces trésors entassés par des générations de croyans et qui faisaient cette chapelle d’hospice luxueuse comme un oratoire d’empereur ! Pourtant, la pièce principale de la décoration subsiste, sans avoir gardé sa place. Il faut aller au musée de l’Hôtel-Dieu pour y retrouver, entouré d’honneurs, le célèbre tableau à compartimens qui s’érigeait naguère au-dessus de l’autel, le Jugement dernier de Roger van der Weyden, l’un des trois chefs-d’œuvre laissés par l’artiste qui fut l’émule des van Eyck et le maître de Memling.

C’est un polyptyque de dimensions moyennes, à huit volets pouvant se rabattre les uns sur les autres. En cet état, il présente sur la face extérieure de ses panneaux des saints peints en grisaille et aux deux bouts les portraits de Rolin et de Guigone, saisissans d’expression et de vérité. Les panneaux ouverts, la grande tragédie du Jugement se dresse, en un merveilleux épanouissement de couleurs et d’ors, en un foisonnement de figurines, et superpose ses divers actes.

Au sommet d’un ciel constellé de vols d’anges, le Christ trône dans sa gloire : il domine la cour céleste, le cénacle des grands saints et des saintes illustres, des apôtres, des martyrs, qui s’ouvre en demi-cercle et pose sur des nuages frangés d’or. Plusieurs saints siègent en habits de pape ou d’évêque, tiares ou mitres : les saintes sont de suaves figures, au chef nimbé, au front cerclé de pierreries, au corps chaste sous leurs longues vêtures bleues ou rouges : sur leur col élancé, découvert, idéalement pur de lignes, le doux ovale du visage s’incline un peu, comme un lis sur sa tige.

Plus bas, l’archange Michel, ministre des justices divines, se dresse gigantesque : engainé d’un corps trop long et rigide, il pèse dans une balance de nues formes humaines ; des brocarts à ramages et à fonds veloutés l’habillent magnifiquement, avec une somptuosité de couleurs où l’œil plonge et se délecte. Les pieds