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réguliers, coupent la salle dans sa largeur et viennent adhérer par leurs bouts aux parois de pierre ; elles sont destinées, par une disposition assez usitée en Bourgogne, à empêcher l’écartement des murs sous la pesée des voûtes. Leur double point de contact avec la muraille se renfle en une gueule d’animal chimérique, de brochet géant : l’extrémité de la poutre s’y enfonce et bâillonne le monstre. Entre ces bizarres points d’appui, on voit saillir, sous les retombées des nervures, des mufles de fauves, alternant avec des têtes d’hommes aux traits grimaçans, infiniment variés, où l’on a cru reconnaître les déformations spéciales que chaque maladie impose au visage. Singulière idée que d’avoir, au plafond d’une chambre de malades, inscrit un cauchemar ! Mais les artistes du XVe siècle ignoraient nos sensibilités ; leur effort tendait au contraire à faire planer partout sur l’homme le fantastique et le surnaturel.

Jusqu’au pavement de la grand’chambre était autrefois ouvrage d’art. C’était un assemblage de carreaux uniformes, émaillés, délicatement ornés, dont quelques-uns subsistent. Au centre de chacun d’eux, la double initiale, l’éternel monogramme blanc, cerné de fleurons et de palmettes, se détache sur un beau glacis rouge, savoureux à l’œil. Le moyen âge voyait dans le rouge le symbole de la santé renaissante, des énergies reconquises, et lui attribuait même une vertu de réconfort. Aussi l’avait-il prodigué dans la décoration de l’hospice : l’intérieur du doux logis semblait voué au rouge. Aux jours de fête, on tendait dans la grand’chambre, au-devant des lits, les tapis de teinte vermillon que nous admirons aujourd’hui dans la cour : se dressant triomphalement sur deux lignes, ils traçaient dans toute la longueur de la salle, depuis le seuil jusqu’à la chapelle, une rutilante avenue.

La Révolution saccagea la chapelle. La grande verrière du fond a été assez heureusement reconstituée, d’après des documens anciens. Jésus crucifié y domine une assemblée en prière, où l’on reconnaît les deux fondateurs, ainsi que le duc Philippe et la duchesse Isabelle. Aux côtés du Christ, les deux larrons rendent le dernier soupir ; leur âme, se détachant du corps, est figurée et comme matérialisée par une espèce de statuette humaine ; sous cette forme, l’âme du repenti s’éloigne entre les bras d’un ange, tandis qu’un démon rouge, s’accrochant des pieds et des mains à la poitrine du pécheur impénitent, est en train de lui