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longs cols de cigogne et becs orangés émergeant de feuillages bizarres, tandis qu’à l’horizon se déploient de vagues architectures. Cette série est la moins belle : elle est pourtant curieuse, car elle prouve que le luxe et le goût de tous les siècles ont payé tribut au palais des malades et vont contribuer pour leur part à la fête de tout à l’heure.


II

Comme la procession célèbre ne sortira qu’après vêpres, quelques heures nous en séparent encore ; nous en passons deux ou trois à visiter l’intérieur de l’hôtel. Le bâtiment situé entre la rue et la cour d’honneur contient la salle principale, la grand’ chambre, immense chambre de malades, haute comme une nef d’église, longue de 72 mètres et large de 14 : son extrémité s’arrondit en abside et forme chapelle. Rangés bout à bout des deux côtés, les lits sont occupés pour la plupart ; ils montrent des visages allumés de fièvre et surtout des faces blanches de convalescens ou d’infirmes.

Dans l’aménagement et le mobilier, tout garde l’aspect de solidité, de richesse même, voulu par Rolin. Au temps de l’habile et âpre chancelier, que les gens du pays nomment, avec quelque emphase, le Colbert bourguignon, il y avait des raffinemens de charité faisant contraste avec les brutalités du siècle. Les grands bienfaiteurs, qui étaient souvent de grands pécheurs, ne se contentaient pas de bâtir aux malades des demeures, spacieuses ; ils les voulaient belles, opulentes, et appelaient vraiment ces asiles au partage de leur luxe. Ainsi, dans la grand’chambre, les lits sont monumentaux : tout en bois plein, ils sont encadrés par des piliers de même matière qui soutiennent les courtines. Autour des malades et sur leur tête, l’ampleur du vaisseau fait un réservoir d’air. Ses murs, sobrement ornés d’emblèmes religieux, sont percés de dix baies ogivales ; l’un d’eux est piqué d’une étoile que met au bord d’une logette, peuplée d’images, une lampe qui nuit et jour veille. Communiquant avec l’appartement des religieuses, la logette sert pendant la nuit de poste et d’observatoire à la sœur de garde.

Plus haut, la voûte s’enlève superbement, striée de nervures dorées et peintes. Au niveau de sa base, des poutres transversales, coloriées, blasonnées, taillées à facettes, espacées à intervalles