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de Portugal et, dans un élan de ferveur conjugale, avait ajouté cette devise à ses armes : Aultre n’aurai, dame Isabel ! Rolin jugea qu’il ferait acte de bon courtisan en s’appropriant, sous une forme plus concise, la galante déclaration de son maître. Ainsi les mots malgré tout mélancoliques : Seulle, Seulle, alternent sur les tapis avec les autres pièces des armoiries, avec la tour, les clefs, l’étoile, la colombe perchée sur un rameau vert, avec les initiales entrelacées des fondateurs, mais ces emblèmes s’espacent suffisamment pour ne point altérer la belle uniformité de la teinte d’ensemble et la splendeur du rouge.

Une seule brèche interrompt ce parement continu ; elle est formée par un tapis d’Orient aux tons violacés, aux dessins vulgaires. On le dirait acheté d’hier, dans une de ces maisons qui ont pour spécialité d’importer chez nous la turquerie moderne et de la mettre à portée de toutes les bourses. A notre grand étonnement, on nous dit que la pièce appartient à l’hôtel de temps immémorial et figure notamment sur l’inventaire de 1501 : l’immuable Orient, s’il a perdu le secret des fortes colorations et des hauts ouvrages d’art, se répète indéfiniment dans ses œuvres médiocres.

Les plus belles tapisseries sont celles qui succèdent au décor rouge et s’appliquent au fond de la galerie inférieure, sur la plus grande partie de son étendue. C’est une suite admirable, une série de compositions représentant la vie de la Vierge, avec des légendes explicatives en caractères gothiques. L’église Notre-Dame de Beaune, l’Insigne Collégiale, qui possède ces trésors, les prête à l’hôpital pour la Fête-Dieu : elle les a reçus en don, au XVe siècle, d’un riche bourgeois de Beaune, qui s’est fait représenter lui-même aux deux extrémités, dévotement agenouillé.

Dans toute l’œuvre, les procédés et le style des Flandres se discernent, avec je ne sais quoi pourtant de local et de bourguignon. L’art flamand, transplanté en Bourgogne, a puisé dans ce sol abondant une sève nouvelle et s’est adapté aux aspects, aux motifs d’inspiration qui le sollicitaient de toutes parts. Il en est résulté un art de terroir, particulier et savoureux. Dans les tapisseries de Beaune, on le reconnaît à son faire gras et ample, à certaines rotondités de mouvemens et de contours. Il y a d’ailleurs des rappels caractéristiques, des types de Bourguignons d’antan, de somptueux bourgeois, des profils crochus d’Hébreux, à la barbe