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d’une dévotion presque maladive, et dont le seul rêve était d’armer ses huit enfans pour le service de Dieu. « Un seul souvenir précis me reste de ma mère, » écrira plus tard Mme Beecher Stowe. Je me rappelle qu’un dimanche matin, comme nous passions en courant devant elle, pour aller de la nursery au salon, elle nous arrêta et nous dit, de sa douce voix : N’oubliez pas que le jour du Seigneur doit être sanctifié ! »

A quatre ans l’enfant, ayant perdu sa mère, passe quelque temps chez sa grand’mère, qui se fait lire par elle, tour à tour, ses deux ouvrages favoris : les Évangiles et les Essais du Dr Johnson. « Elle s’était formé de chacun des apôtres une image si distincte et si vivante qu’elle nous parlait d’eux comme de ses amis. Les remarques de Pierre, notamment, ne manquaient jamais d’amener sur ses lèvres un sourire indulgent. — Le voilà bien ! nous disait-elle. Comme c’est lui, toujours actif, toujours prêt à intervenir ! » Et l’enfant, à son contact, s’accoutumait à revêtir, elle aussi, d’une forme sensible toutes ses émotions et toutes ses pensées. Elle dévorait les Mille et une Nuits, Don Quichotte, écoutait avec délices les récits de voyages de ses oncles ; et parfois elle se surprenait à faire des vœux, comme sa grand’mère, pour le prompt retour des États-Unis sous le sceptre du roi Georges.

Elle revint ensuite chez son père, théologien imperturbable, et une autre éducation commença pour elle. Les Mille et une Nuits furent remplacées par la Prédestination de Toplady, les Sermons de Bell, la Philosophie morale de Paley. Elle avait douze ans lorsqu’elle remporta le premier prix de style, à l’Académie de Litchfield, pour une composition dont le sujet était : L’ Immortalité de l’âme peut-elle se prouver à ta lumière de la nature ?

Mais l’ardeur d’enthousiasme qui était en elle ne faisait que s’aviver sous cette discipline. Quand elle entendit lire, pour la première fois, la déclaration d’indépendance des États-Unis, un grand flot d’orgueil patriotique envahit son cœur. « J’aurais voulu, nous raconte-t-elle, pouvoir donner ma vie à cette cause sacrée. » Et elle ajoute que dès ce moment « elle aspirait de toute son âme à faire quelque chose, elle ne savait quoi, à lutter pour son pays, à se révéler au monde par un acte héroïque. » C’est cette aspiration qui désormais ne la quittera plus, qui l’étouffera et la torturera, jusqu’au jour où elle lui aura enfin trouvé l’issue que l’on sait.

Un jour, elle entend dire par son père, à table, que Byron est mort. « Je suis désolé de cette mort, ajoute M. le docteur Beecher. Je gardais toujours l’espoir que Byron vivrait pour faire quelque chose pour le Christ. Quelles hymnes merveilleuses il aurait pu chanter ! » Et voilà