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en français toutes les idées nécessaires pour perfectionner leur raison et toutes les expériences propres à assurer leur goût. Nous avons des philosophes, des orateurs et des poètes ; nous avons même des traducteurs où l’on peut puiser les richesses anciennes, dépouillées de l’orgueil de les avoir recueillies dans les originaux. Un homme qui, sans grec et sans latin, aurait mis à profit tout ce qui s’est fait d’excellent dans notre langue, l’emporterait sans doute sur le savant qui, par un amour déréglé des anciens, aurait dédaigné les ouvrages modernes. » Les langues anciennes ne sont pas nécessaires pour la formation de l’esprit ; il y a une culture moderne qui vaut la culture par le grec et le latin ; les traductions remplacent avantageusement les textes et les imitations dispensent de connaître les modèles, — est-ce dans les feuillets jaunis des œuvres de Lamotte que nous lisons ces belles choses ? est-ce dans les journaux d’hier et dans les brochures de nos « coloniaux » ? Les modernes eux-mêmes se soucient-ils donc si peu de renouveler leurs argumens, et d’en rafraîchir la nouveauté ? Qu’ils y prennent garde ! Leur modernisme date déjà de deux siècles. Ils sont en train de passer anciens.

Toutes ces idées avaient cours avant que Lamotte ne fût venu les reprendre à son compte ; car il s’en faut qu’il les ait inventées. Néanmoins, on ne peut dire qu’il n’ait pas dans la discussion une attitude qui le distingue de plusieurs autres partisans des modernes. Il a une façon de pousser le raisonnement à l’absurde, qui fait peut-être honneur à son esprit géométrique, mais qui en tout cas est bien à lui. Et chaque fois qu’il y a une maladresse à commettre, devant laquelle avait reculé la prudence avisée d’un Perrault, d’un Fontenelle ou d’un Fénelon, il n’hésite pas. C’est le timide qui se mêle d’être hardi et va tout de suite aux extrémités. C’est le mouton enragé. On sait quel est le principe de sa critique d’Homère. Il reproche au vieux poète l’absurdité de ses fables, l’enfantillage de ses croyances, la grossièreté des mœurs qu’il représente, enfin et d’un mot « le défaut de philosophie ». Ses héros manquent d’élégance. Le grand tort d’Homère, c’est d’avoir vécu de son temps et de n’avoir pas su attendre que le XVIIIe siècle fût né. Car à tout prendre, il n’était pas sans génie, et l’homme est chez lui fort supérieur à son œuvre. « L’ouvrage me paraît aussi éloigné de la perfection que l’auteur était propre à l’atteindre s’il eût été placé dans les bons siècles. » A force de restreindre leur horizon, les modernes en arrivent à ne rien comprendre de ce qui dépasse le cercle habituel et actuel de leurs idées. Parce qu’ils ne retrouvent pas dans le poème ancien les conventions de la société polie, les artifices du