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Voilà qui donne une singulière idée de l’état de la cour de France dans les premières années de la Restauration et des rapports déplaisans qui existent entre le Roi et ses parens. On lui obéit parce qu’il est le roi, mais on murmure, on se plaint, on le boude ; on ne laisse échapper aucune occasion de faire injure à ses ministres et surtout à celui d’entre eux qu’on affecte de rendre responsable du caractère libéral, — on dit révolutionnaire, — de la politique que défend le cabinet. Seul, le Duc d’Angoulême semble s’y être résigné. Il aime sincèrement Louis XVIII et redouterait de l’affliger en récriminant. Mais, sa docilité, sa résignation semblent au Roi bien fragiles. On a vu combien elles l’étonnent et quelles craintes elles lui inspirent. A plusieurs reprises, il peut croire que ses craintes vont se réaliser et que le prince ira grossir le nombre des mécontens. Il s’en inquiète ; il met Decazes en garde contre ce nouveau péril :

« Tu dois, à l’heure qu’il est, être avec le Duc d’Angoulême, et je serais bien fâché qu’il en fût autrement ! car jamais pareil entretien ne fut plus nécessaire. On l’a travaillé de main de maître ; il voit une réaction pareille à celle de 1815, les gens fidèles chassés pour placer les Jacobins. Toi-même, tu n’es pas exempt de reproches, à cause des changemens de préfets. Je te dis tout cela en abrégé parce qu’il te le dira plus au long. » Tels sont les effets qu’a produits ce mouvement vers la gauche, trop accentué, trop peu mesuré et partant terriblement dangereux, auquel les doctrinaires ont poussé le cabinet et par lequel Decazes qui, s’il vise au même but, désapprouve la rapidité de la marche, s’est laissé entraîner.


II

« Quand M. Decazes fut devenu ministre de l’Intérieur, raconte la duchesse, sa faveur près du Roi fut plus grande encore qu’elle ne l’était avant. Mais plusieurs de ses collègues qui s’étaient retirés ne cachaient pas leur mécontentement. Le salon de Madame de la Briche, belle-mère de M. Molé, qui déjà, quand celui-ci siégeait au Conseil, n’était pas ministériel, devint si hostile que je fus dispensée d’y aller. Mais je continuai à voir Madame Molé qui, elle, était toujours la même, l’air froid et indifférent. M. Pasquier, resté l’ami de M. Decazes, fut très convenable. On disait qu’il se ménageait pour l’avenir. Le duc de Richelieu était