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sont que passagers, de détails du visage qui ne sont qu’accidentels et ne servent de rien pour l’expression du caractère intime ! Ceux-là peuvent être négligés sans que la vraie ressemblance en souffre ; même s’ils sont beaux, ils n’ont pas de valeur. Inversement, un détail laid sera retenu et enregistré, s’il est significatif. Aussi dans les statues de Démosthène ou de Ménandre, dans les bustes d’Epicure ou de Chrysippe, vous ne retrouverez pas toute la complexité de traits qui se voit sur un visage humain, ce qui fait qu’il est tel à l’heure précise où l’artiste le copie. Le visage est réduit à ses traits généraux, c’est-à-dire aux plus saillans et révélateurs. Trois ou quatre, pas davantage, composeront la physionomie d’un Démosthène ; mais ceux-là fortement marqués. Et alors la personnalité historique de l’orateur ressortira à merveille. Sur ce masque se lira, aussi clairement qu’en un livre, toute la vie de l’homme, vie orageuse et tourmentée comme les plis de ses rides. Reproduira-t-on des déformations plus accusées ? Pourquoi non ? Chez Démosthène la lèvre inférieure très retirée en arrière est une allusion à son bégaiement et aux prodigieux efforts qu’il dut faire pour triompher des infirmités de sa nature. Chez Epicure, la contraction des lèvres trahit ses souffrances et explique comment ce philosophe, torturé par la maladie, a pu placer la volupté suprême dans l’absence de passion et de douleur. Ces déformations sont caractéristiques. Dès lors l’artiste doit nous les montrer : ce serait une faute de les omettre. D’une part donc, observation exacte, vérité rigoureuse de tous les détails ; de l’autre, choix parmi les détails observés, pour ne retenir que ceux qui dégagent et mettent en plein relief la personnalité, l’essence du modèle : telle est cette conception du portrait, et il n’y en a pas de meilleure.

On ne saurait trop le répéter : nous l’oublions communément. Il n’y a de vérité que de ce qui demeure, non de ce qui passe. Ce n’est pas faire ressemblant que de rendre une physionomie, fût-ce avec la fidélité la plus grande, à un instant particulier de la durée. A l’instant d’après, cette physionomie a changé et la ressemblance n’existe plus. Qu’est-ce donc qu’une vérité d’une minute, détruite par la minute suivante ? Dans cette voie, il faudrait, pour bien faire, autant d’images d’une personne que sa vie comprend de momens très fugitifs. Seuls des appareils enregistreurs, un chronophotographe fonctionnant sans s’arrêter, pourraient résoudre un pareil problème. Et quand même ils le