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Cette époque, on l’a appelée hellénistique et non plus hellénique, avec raison. Le changement de nom correspond à un changement dans les faits, dans les idées, dans les moyens d’expression. A mesure que nous descendrons le cours de l’histoire, nous verrons le réalisme, l’étude des particularités et du détail vulgaire, prédominer jusqu’à prendre entière possession des esprits. Mais avant que la tendance opposée, celle qui mène au simple et au général, se soit affaiblie, il y a un moment — un seul — où l’équilibre est parfait. C’est alors que se produisent les chefs-d’œuvre. Car tout n’était pas à rejeter de l’héritage antérieur. Il faut dans le portrait un assez rare mélange de qualités contraires : une part d’interprétation y est nécessaire comme une part d’observation. C’est le naturalisme hellénistique qui a le mieux réalisé cette union.

Les bustes ou statues dont il était question tout à l’heure, représentaient des poètes, des philosophes morts depuis longtemps, dont quelques-uns même étaient légendaires, dont beaucoup appartenaient à une époque où l’art du portrait était encore inconnu. Nécessité était bien à l’artiste de créer de toutes pièces son personnage. Mais qu’on lui donne à fixer l’image d’un vivant, d’un mort contemporain tout au moins, qu’il a encore pu voir et connaître, il s’attachera fidèlement au rendu des traits du modèle. En l’an 280, les Athéniens, honteux de leur longue ingratitude envers Démosthène, demandèrent à Polyeuctos d’élever sur l’Agora une statue de bronze en l’honneur du grand orateur et du grand patriote. Jetez les yeux sur le marbre du Vatican, lequel procède directement de cette œuvre. L’individualité du caractère a été saisie et rendue de main de maître. Front sillonné de rides, visage anguleux, traits tourmentés, expression sévère de volonté ardente et opiniâtre, tout indique une nature tendue vers l’effort, trahit l’homme qui a peiné sa vie entière, luttant contre lui-même et sa constitution ingrate, luttant contre les autres, contre l’apathie de ses concitoyens et l’activité de Philippe, mais conservant toujours au milieu des épreuves « une âme maîtresse du corps qu’elle anime. » En face de Démosthène voyez Eschine, son rival. Le contraste n’est pas moins frappant au physique et au moral que dans l’histoire. Celui-ci calme, le visage rempli, bien portant, semble jouir de son heureux tempérament et trouver agréable une vie dont il n’a jamais eu à souffrir. Dans une salle du Vatican, deux statues se font pendant, peut-être les poètes