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aspect imposant, il est impossible, en regardant cette figure de ne pas être saisi de son caractère de vérité. M. Perrot a relevé avec juste raison « la largeur du crâne, le front bas encadré de grands cheveux, la saillie de l’arcade sourcilière, l’œil enfoncé, le nez long et droit, la bouche à demi cachée par une forte moustache qui va rejoindre une barbe frisée et coupée très court[1] » : tous ces détails attestent une direction nettement différente de celle que nous révélaient les œuvres antérieures ou même d’autres œuvres contemporaines. Le portrait de Mausole est un nouvel anneau de la chaîne qui se rattache aux frontons d’Olympie.

Le mouvement qui se développe à partir d’Alexandre était donc préparé. Mais il n’en demeure pas moins vrai qu’un artiste comme Lysippe, par l’autorité de son nom et son influence sur son temps, lui a fait porter tous ses résultats et produire toutes ses conséquences. Somme toute, si l’on compare l’art de ses successeurs avec celui de ses devanciers, ce fut une véritable orientation nouvelle. Nouveauté semblable, ajoutons-le, dans toutes les branches de l’art et de la science ; car tout, à cette époque, conspirait avec Lysippe pour entraîner les esprits vers l’étude de la nature. Aristote, après les hautes spéculations de Platon, s’occupe de sciences naturelles et expérimentales, classe les documens, analyse, serre la vérité de près. Ménandre, après la fantaisie étincelante d’Aristophane, prend ses personnages dans la société contemporaine et la vie journalière. Tous pouvaient dire, comme le peintre Eupompos à Lysippe lui-même en lui montrant la foule des passans : « Voilà le seul modèle à imiter, la nature, et non les œuvres des artistes. » La tendance était donc générale. C’était l’esprit du temps, un besoin de l’époque entière, avide de nouveautés, désireuse de secouer les traditions, éprise de la vie et de toutes ses manifestations morales ou physiques, la regardant avec curiosité, l’aimant avec passion. Cette influence devait se faire sentir, en particulier, dans la reproduction des traits du visage. Elle conduisait l’art à se rapprocher du portrait au sens moderne du mot, lui montrait la voie, en le poussant vers l’observation et l’imitation de la réalité environnante. Et par surcroît, comme pour lui faciliter encore la tâche, c’est alors précisément que l’on inventait le moulage en plâtre pris sur le modèle lui-même, et l’inventeur n’était autre que le propre frère

  1. Revue des Deux Mondes, 15 décembre 1875, p. 908.