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tout au moins difficulté d’y atteindre. On retournait au type canonique, fixé d’avance, comme au motif connu, familier à l’ébauchoir, qui allégeait ainsi et reposait d’un labeur écrasant. Maintenant c’est volonté réfléchie, dessein bien arrêté de fuir une ressemblance terre à terre. Myron et Polyclète observent la nature, serrent de près les formes humaines, mais pour en découvrir la formule et la loi ; Phidias étudie la réalité vivante, mais pour faire rayonner à travers la beauté des corps l’élévation des âmes. Tous visent à une vérité générale qui embrasse toutes les vérités particulières, les résume et les dépasse. Thucydide et Sophocle ne procèdent pas autrement. L’histoire ou le drame sont conçus comme des simplifications hardies et majestueuses de la réalité et de la vie. Ce courant, à cette époque, entraîne l’esprit grec tout entier.

Myron et Polyclète avaient fait bien d’autres statues d’athlètes que les trois dont il nous est parvenu des répliques. C’est dans les gymnases et les concours qu’ils pouvaient trouver surtout ces attitudes violentes ou tranquilles, compliquées ou harmonieuses, leurs motifs de prédilection. Mais toutes ces statues, si elles nous avaient été conservées, ne modifieraient pas, nous pouvons l’affirmer, notre jugement d’ensemble sur tes deux sculpteurs. De Phidias, on ne cite au contraire qu’une œuvre de ce genre. C’est vers les dieux qu’il se tournait de préférence ; ou, s’il ramenait ses regards vers la terre, il aimait à traduire par le ciseau les exemplaires où l’humanité atteint sa plus complète expression intellectuelle et morale : exemplaires toujours plus imaginés qu’observés. Fût-elle achevée, la beauté athlétique, parce qu’elle est uniquement corporelle, vide de pensée, lui paraissait une beauté inférieure. Mais s’il a évité de représenter lui-même des personnages réels, il n’en a pas moins exercé uns grande influence sur ceux de ses successeurs qui se sont essayés à rendre les traits de leurs contemporains. Avec Phidias, en effet, c’est l’idéalisme qui pénètre non seulement dans la sculpture attique, mais, grâce au génie du maître, à l’éclat incomparable de son enseignement et de ses œuvres, dans la sculpture hellénique tout entière. L’art, sous toutes ses formes, dans tous ses domaines, s’en trouve élargi et renouvelé.

Que l’influence de Phidias ait été profonde sur le portrait funéraire, le fait ne nous surprendra pas. Dans les croyances des anciens, le mort revêt, par cela même qu’il est entré dans le mystère