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bien qu’il y ait deux têtes et deux corps, il n’y a tout de même qu’un personnage. Je pense à des œuvres très postérieures, au charmant bas-relief de Pharsale, conservé au Louvre, d’une gravité si douce, où deux jeunes filles échangent des fleurs, les fleurs des morts, le pavot et la grenade ; ce sont deux exemplaires exactement pareils d’un seul profil, tantôt vu à droite, tantôt vu à gauche. Je pense même à la stèle d’Orchomène ; un bourgeois, Alxénor de Naxos, vêtu de Iachlamyde, est debout, le bras gauche appuyé sur un long bâton, les jambes tranquillement croisées, un chien à ses côtés. Regardez au Musée de Naples son pendant un peu plus jeune ; vous constaterez que c’est là, reproduit de part et d’autre, un même modèle canonique.

Vers le commencement du Ve siècle, les représentations d’athlètes s’étaient beaucoup multipliées. Les ateliers d’Egine, ceux du Péloponnèse, d’Argos et de Sicyone, pour qui la fonte du métal était comme une spécialité, voyaient de toute la Grèce affluer à eux des commandes. Merveilleuses conditions pour l’art. Apprenant à travailler d’après la nature vivante, qu’ils surprenaient parmi la jeunesse des gymnases dans tout le déploiement de sa souplesse ou de sa force, étudiant le nu, la structure du corps, le jeu des muscles, les mouvemens et les attitudes, les vieux maîtres ne pouvaient manquer de faire faire à la sculpture un pas considérable. Il y eut donc progrès, mais progrès surtout par les formes du corps. La tête resta exécutée suivant des règles conventionnelles. Rappelons-nous seulement les guerriers des frontons d’Egine, figures au monotone et éternel sourire. Au surplus, qu’importait l’identité des statues et le manque d’individualité des visages ? Les Grecs n’auraient pas compris nos exigences. Nous ne jugeons pas que quelqu’un reprenne vie dans la pierre ou le métal, s’il n’est pas reconstitué dans ce qui le distingue en propre de ses semblables, les traits de sa physionomie. C’est que, avec le lourd costume moderne qui drape le corps tout entier et l’emprisonne comme dans une gaine, la tête est tout ce que nous voyons d’autrui. Mais dans un pays comme la Grèce antique, où des étoiles plus légères, que permet la douceur du climat, laissent aux mouvemens leur aisance et font même deviner les contours sous la souplesse du tissu, où les habitudes de la vie, amenant les jeunes gens dans les palestres, donnent à l’éducation physique une importance sans égale, le corps reprend toute sa valeur et retrouve tout son prix. Il attire