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et le Code annoté l’accuse d’avoir voulu « frapper de terreur, » pour les « transformer en surveillans officieux, en agens électoraux, trois cent mille habitans et leurs familles. » Trois cent mille estaminets, et des estaminets politiques, de ceux que Balzac appelle le « parlement du peuple, » étendaient donc déjà leur réseau sur la France, sous le régime de Juillet et le Gouvernement de 1848 ! L’Empire capta cette force à sa manière, la République la capta ensuite à la sienne, et l’État, depuis cinquante ans, s’est toujours, en résumé, servi ainsi du débitant. Il a cherché à le détruire, à le soumettre, ou à le flatter, mais ne l’a jamais négligé. N’était pas, sous l’Empire, marchand de vins qui voulait, et le débitant constituait alors une corporation privilégiée. Il devenait un agent, un fonctionnaire, et cela le rendait une puissance. Tout le monde, aujourd’hui, peut ouvrir un cabaret, c’est la liberté, et le marchand de vins, par là, se retrouve une puissance d’un autre genre. Il est le nombre, et le nombre organisé, il pullule, il se syndique’ ; et, cette puissance qu’il représente et qu’il est, toutes sortes de signes l’attestent, en dehors même de la législation. Personne n’est aussi bas salué que lui, aussi bien traité, aussi considéré, aussi ménagé, et par les candidats, et par les députés, et par les conseillers municipaux, et par les sénateurs, et par les ministres. Pour une considération aussi marquée, et surtout aussi soutenue, il faut bien qu’il soit quelqu’un, et il l’est. Mais de quelle façon, encore une fois, le marchand de vins est-il quelqu’un ? Comment s’analyse son influence ? Comment en fonctionne le mécanisme ? C’est ici que l’étude prend de l’intérêt, et ne manquera même pas d’imprévu.


III

D’où vient le débitant ? En général, de province. Ou bien encore, fréquemment, il est ancien garçon de café, ancien domestique, ancien cocher, ancien commis de confiance d’un distillateur. Notons aussi, mais seulement pour mémoire, le marchand devins fantaisiste, l’irrégulier de la profession, et qui peut avoir, alors, les origines les plus bizarres. L’un de ceux-là, politicien actif, volontiers candidat dans son arrondissement, avait été perruquier à Mazas. Un autre, un homme de lettres, M. Leyret, auteur d’un volume : En plein Faubourg, avait acheté, il y a quelques années, un fonds de vins faubourg du Temple, pour voir