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littéralement ; — vos alevins se promèneront au loin, et ne reviendront pas. L’œuvre peut être d’intérêt général : elle ne saurait être particulièrement avantageuse pour ceux qui s’y livrent : elle profitera aux pêcheurs de l’Atlantique tout entier, mais non pas à ceux du Massachusetts seulement.

Cette réponse repose sur la croyance à la doctrine des grandes migrations qui a eu longtemps cours, et ceux qui la formulent ont raison de combattre les prétentions de la pisciculture marine. Mais la doctrine même est-elle exacte ? C’est là toute la question.

En réalité, beaucoup de faits lui sont contraires. Il ne faut pas s’imaginer que, parce que les océans sont continus et que d’immenses nappes d’eau se rejoignent, le poisson y circule librement en tous sens. Il y a tout autant de barrières aux migrations dans l’eau qu’il y en a sur terre, et l’habitat des espèces aquatiques est le plus souvent tout aussi limité que celui des espèces terrestres. Le nombre de ces dernières que l’on rencontre sur toute l’étendue d’un même continent est facile à compter ; on peut dire qu’il n’y en a pas une. Oiseau ou mammifère, reptile ou batracien, les espèces terrestres sont sans cesse arrêtées. Ici, c’est le défaut de nourriture ; là, c’est le climat, ou trop chaud, ou trop froid, et le résultat est celui que nous voyons : chaque espèce a un habitat plus ou moins restreint, et ce n’est qu’avec des précautions spéciales qu’on arrive à la faire vivre en dehors de celui-ci, à l’acclimater, en un mot.

Les choses ne vont pas autrement dans les mers, et la zoologie géographique est là pour le montrer. Elle nous montre, en effet, que chaque espèce de poisson occupe un habitat déterminé : celui-ci peut se modifier légèrement avec les saisons, mais c’est tout. L’Atlantique nord a sa faune, et aussi l’Atlantique sud ; et de même pour la Méditerranée et le golfe du Mexique. Très peu d’espèces, malgré les facilités apparentes de communication, ont un habitat très étendu. Parmi les poissons, beaucoup se pourraient citer, qui ne se trouvent dans l’Atlantique nord, les uns que sur la côte européenne, les autres sur la côte américaine. Et pourtant, les voies sont bien libres entre les deux continens ?

Il le semble ; en réalité, c’est autre chose. Pour les poissons de haute mer, qui se nourrissent de proies voisines de la surface, ces voyages étendus seraient encore possibles ; mais, pour toutes les espèces, si nombreuses, qui se nourrissent sur les fonds voisins des côtes, il n’en saurait être question. Elles ne sauraient. en