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L’expérience réussit à tel point que, dès la première année, en 1867, Seth-Green put verser 93 millions d’alevins dans les eaux de l’Hudson et du Connecticut : elle fut continuée, et les résultats en sont excellens.

Du moment où l’on pouvait pratiquer la pisciculture d’une espèce marine, il y avait tout lieu de penser pouvoir réussir avec d’autres espèces, même celles qui se reproduisent dans la mer au lieu de remonter les fleuves, et, malgré les critiques rappelées plus haut, malgré le ridicule que l’on essaya, de divers côtés, de jeter sur la tentative de repeupler les mers, la tentative fut faite.

C’est aux États-Unis, dans le petit port de Gloucester, qu’elle fut réalisée, et l’espèce dont on fit choix fut la morue

Mais une objection se présente dès l’abord.

Quand un propriétaire d’étang ou de lac s’avise d’acheter quelques centaines ou milliers d’alevins, pour les introduire dans son domaine aquatique, ou quand il se fait envoyer des œufs fécondés, quand il pratique la pisciculture en un mot, nul ne trouve son acte déraisonnable. Voilà de l’eau où des poissons pourraient vivre : la nourriture et l’espace s’y trouvent : la nature a jugé à propos de ne point peupler ces eaux, ou bien l’homme les a imprudemment dévastées. Dans ces conditions, il n’est pas téméraire de prétendre corriger la nature — ou l’homme — et de tenter le repeuplement. Très vraisemblablement, en effet, les jeunes poissons introduits de façon artificielle se développeront, engendreront progéniture, et les eaux, jusque-là stériles, deviendront fécondes. Si elles deviennent telles, en tout cas, l’intérêt de la tentative est évident ; celui qui en aura pris la peine en recueillera les bénéfices : ses « élèves » ne sauraient lui échapper.

En va-t-il de même dans l’Océan ? Est-il raisonnable de penser que, même en procédant en grand, le repeuplement d’une côte, qui a quelques centaines ou milliers de kilomètres de développement, peut avoir des effets réels ? Que les alevins mis en mer sur la côte du Massachusetts, par exemple, resteront dans ces parages, et reviendront, avec obéissance, se faire prendre à la belle saison ?

Longtemps on a répondu par la négative, et il y avait apparence que la négative fût justifiée. L’Océan est immense, disait-on ; les poissons circulent en tous sens ; nous savons bien qu’en hiver ils ne se tiennent point où ils se tiennent en été, et de quel droit imaginera-t-on qu’ils se contentent d’excursions restreintes ? Vous jetterez votre argent, votre temps et votre peine à l’eau —