le jour en se promenant d’un bout à l’autre du train ; les buffets où l’on s’arrête longuement toutes les cinq ou six heures vous fournissent une nourriture très passable, on y trouve de la bière et du vin de Crimée ou du Caucase ; sur le chemin de fer de l’Oussouri, circule un wagon-restaurant fort convenablement servi à l’européenne par des Japonais ; le corps est donc bien pourvu. Et, puisque j’ai vu aux principales gares, comme Tcheliabinsk ou Omsk, des romans, dans le texte français, de Maupassant, de Daudet, Sensations d’Italie et Cosmopolis de Bourget, ne puis-je dire que l’esprit aussi aurait mauvaise grâce à se plaindre ?
Le gouvernement russe n’a pas voulu cependant s’en tenir exclusivement à son propre matériel, et une convention est déjà signée avec la Compagnie des wagons-lits pour organiser un Extrême-Orient-Express, muni d’un wagon-restaurant, d’une bibliothèque et de toutes les ressources que l’on trouve dans les grands trains américains. Sans doute on voyage toujours moins confortablement en chemin de fer que dans un des superbes paquebots modernes lorsque la mer est belle ; mais la traversée d’Europe en Chine n’est pas des meilleures : quinze jours à trois semaines de chaleur torride ; en hiver, la mousson de sud-ouest dans l’océan Indien ; en été, des typhons fréquens dans les mers de Chine ; mars et avril sont les seuls mois où l’on puisse compter sur un agréable voyage. D’autre part, la route du Canada exige deux transbordemens, et l’Atlantique et le Pacifique du nord sont des mers médiocrement hospitalières. En été tout au moins, la route du Transsibérien sera préférée par tous ; l’hiver même elle gardera sans doute une nombreuse clientèle : les wagons seront bien chauffés et l’on n’aura pas à craindre, comme au Canada, les avalanches, car on ne traverse pas de montagnes aussi élevées, le froid est généralement sec et la neige peu épaisse en Sibérie. Enfin, ce ne sont pas seulement des « globe-trotters » de loisir qui se rendent en Extrême-Orient ; il y a aussi et il y aura de plus en plus des hommes d’affaires, et la devise de notre époque n’est-elle pas : Time is money ?
Les marchandises suivront-elles les voyageurs à travers la Sibérie ? Pour la plupart d’entre elles, c’est moins une question de temps qu’une question de prix qui se pose. Dans le grand centre des exportations chinoises, à Shanghaï, les frets étaient à la fin de 1897 de 35 shillings, soit 43 fr. 75 sur Londres, Hambourg et les autres ports du Nord ; c’était un prix largement rémunérateur