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atteignant près de 50 degrés, le Baïkal ne gèle que fort tard, en janvier seulement : il a plus de 1 300 mètres de profondeur, le fond descendant à 900 mètres au-dessous du niveau de la mer, et contient ainsi une énorme masse d’eau lente à se refroidir comme à s’échauffer, car sa température ne dépasse pas 5° en été. Pendant huit mois au moins, on naviguera dans l’eau libre, et l’on espère que le passage des bateaux, deux fois par vingt-quatre heures dans le même chenal, réduira l’épaisseur que la glace pourra y atteindre ; les ferry-boats dont on compte se servir, et dont les pièces sont commandées en Amérique pour être montées sur place, auront à peu près les dimensions du Père-Marquette : 100 mètres de long sur 17 de large, 4 000 tonnes de déplacement ; leur coque sera particulièrement résistante, leur avant et leurs flancs renforcés pour briser la glace ; la vitesse devra être de 13 nœuds et demi, soit 25 kilomètres à l’heure, dans l’eau, et de 4 nœuds (7 kilomètres) dans la glace ; la durée de la traversée serait donc d’environ neuf heures en hiver et deux heures et demie en été. Ce qui paraît devoir être le plus difficile pour ces grands bateaux, c’est le démarrage pour la navigation dans la glace : comme en bien d’autres matières, « il n’y a que le premier pas qui coûte. »

Pour un aussi long parcours d’autres difficultés se présentent encore : les tempêtes sont violentes sur ces vastes nappes d’eau ; sur les grands lacs américains on y pourvoit en munissant les ferry-boats de deux grands réservoirs mobiles pleins d’eau, qui forment contrepoids et empêchent le roulis. On fera sans doute de même en Sibérie ; mais ce qui gêne la navigation du Baïkal plus encore que les tempêtes, ce sont les brumes, très fréquentes dans l’arrière-saison depuis le mois d’août jusqu’au moment où le lac est gelé. Les bateaux qui font actuellement le service quotidien entre les deux rives, en sont parfois empêchés de partir, et ce serait un sérieux inconvénient si des trains devaient rester en panne à cause du brouillard. Cependant, à tout prendre, la traversée du lac en bateau porte-train paraît aujourd’hui une solution pratique, au moins provisoirement. Elle a le grand avantage de réduire à 21 millions de francs des frais qui se seraient élevés à 61 millions, si l’on avait dû contourner le lac. On avait proposé aussi de remplacer en hiver la navigation par l’établissement d’une voie ferrée provisoire sur la glace, comme on l’a fait pendant plusieurs années au Canada sur le Saint-Laurent en face de Montréal ; mais ce procédé ingénieux n’est pas applicable ici :