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Partout, aussi bien dans les plaines de l’ouest que dans les vallées, grandes ou petites, du centre et de l’est, c’est le manque de solidité des terrains, la fréquence des marais, qui a opposé le plus d’obstacle aux travaux du chemin de fer.

Le Transsibérien n’avait pas seulement des rivières à franchir, il fallait aussi lui faire contourner ou traverser le plus vaste lac d’eau douce de l’Asie, le Baïkal. La décision qu’on a prise de transporter les trains sur le lac en bateau à vapeur est d’une grande hardiesse. Sans doute, les divers moyens de transport se prêtent souvent de nos jours une assistance réciproque : le transport de trains entiers lourdement chargés d’une rive à l’autre d’un grand cours d’eau sur des bateaux spéciaux portant des rails, dit ferry-boats, est une chose usuelle en Amérique et au Danemark ; on peut voir aussi quelques chemins de fer pour bateaux, on a même proposé, de construire une voie de ce genre aux lieu et place du canal de Panama. Mais, jusqu’à ces dernières années, les traversées des bacs pour chemins de fer effectuées sur le Mississipi, sur la rivière Saint-Clair qui joint les lacs Huron et Erié, même sur la baie de San Francisco ou sur les détroits danois, n’avaient jamais dépassé un petit nombre de kilomètres. Tout récemment on a lancé en Amérique les bateaux porte-trains sur de bien plus grands trajets : « la compagnie Toledo, Ann-Harbour and Northern Michigan Railroad fait fonctionner un service de bateaux porte-trains sur une distance de 109 kilomètres à travers le lac Michigan ; la glace ne les arrête que quand elle atteint l’épaisseur tout à fait anormale de 0m, 50. Une autre compagnie a mis à flot pour la traversée du même lac le Père-Marquette, le plus grand ferry-boat du monde, qui a 106 mètres de longueur, 16m, 80 de largeur et possède quatre voies qui lui permettent de porter 30 wagons à marchandises ou 16 voitures à voyageurs du plus grand type[1]. »

Ces exemples sont encourageans pour le projet russe et de nature à écarter les objections qui se présentent naturellement à l’esprit et qui m’avaient d’abord rendu sceptique au sujet de la possibilité de faire traverser ainsi le Baïkal à un train. La distance à parcourir du bord occidental au bord oriental du lac, de Listvenitchnaïa, c’est-à-dire [[les Mélèzes », à Mysovsk est de 60 verstes, soit moindre qu’au Michigan ; malgré les froids terribles,

  1. Ces renseignemens. relatifs aux ferry-boats américains, sont extraits d’un article de M. Daniel Bellet : les Grands bacs modernes, dans l’Economiste français (19 février 1898).