qu’il n’y a pas de chevaux disponibles, qu’il faut attendre deux ou trois heures ou jusqu’au soir, voire jusqu’au lendemain. On entre alors dans la salle unique ou dans l’une des deux salles réservées aux voyageurs que meublent deux ou trois tables, autant de canapés en simple bois, quelques chaises et dont une ou deux icônes, des portraits de Leurs Majestés et huit ou dix cadres contenant des règlemens divers ornent les murs. L’un de ces cadres porte le tarif auquel sont fournis des mets nombreux et variés ; mais une annotation qui se dissimule au bas de cette liste de comestibles prévient le public que les maîtres de poste ne sont tenus de fournir que du pain noir et de l’eau chaude pour faire le thé, que chacun emporte avec soi, ainsi que le sucre. En dehors de ces articles obligatoires, on ne trouve le plus souvent, — et non pas toujours, — que d’excellent lait et des œufs. En Transbaïkalie surtout, il est prudent d’avoir avec soi quelques conserves : on en fabrique de fort bonnes à Tobolsk, que l’on peut se procurer dans toutes les villes importantes de Sibérie.
Pour varier ses menus, on s’entr’aide entre voyageurs et les divers hôtes temporaires d’une maison de poste se partagent souvent leurs provisions : autour du grand samovar de cuivre, la causerie s’engage vite avec ce ton d’intimité cordiale qui surprend toujours agréablement les étrangers et que donne l’habitude d’appeler son interlocuteur, quels que soient son rang, son âge et son sexe, par son prénom et son nom patronymique : « Nicolas Pétrovitch, Paul Ivanovitch, Elisabeth Alexandrovna... » Les gens qui voyagent dans le même sens se retrouvent souvent et deviennent vile presque intimes. Malgré ces instans de repos où l’on apprécie les qualités aimables de complaisance et de bonté du caractère russe, mieux vaut rester le moins longtemps possible dans les maisons de poste, et il faut éviter d’y passer la nuit où aucune prodigalité de poudre insecticide ne saurait assurer un sommeil tranquille.
Si intéressante qu’elle soit, la traversée de la Sibérie ne peut donc passer encore pour un voyage de pur agrément ; bien que des femmes russes, même de classe élevée, la fassent fréquemment, on ne pourrait la recommander aux personnes délicates. Du moins dans des circonstances moyennes et avec un podorojné officiel, assez aisé à obtenir, pouvait-on arriver naguère, lorsque la route était moins encombrée, à s’embarquer sur l’Amour quinze à dix-huit jours après avoir quitté les bateaux de l’Obi. On se rendait ainsi en sept semaines environ de l’Oural à Vladivostok.