malechance de traverser la Transbaïkalie pendant une période d’inondations succédant à de grandes pluies, et la boue sans fond des chemins à peine marqués, les ponts enlevés, les gués impraticables m’ont laissé le plus fâcheux souvenir. Plus encore que les intempéries et les désagrémens de la route, c’est la passive résignation, l’inertie des hommes, maîtres de poste, cochers, paysans, de ses compagnons de voyage même, qui irrite un Occidental. Pressé qu’il est toujours, instinctivement pour ainsi dire, il se trouve en face de gens pour qui le temps n’est rien. Dressé à tenir peu de compte des caprices d’un climat moins rude, il ne comprend pas ces hommes, obligés de plier devant certaines violences irrésistibles de la nature ambiante et qui arrivent à s’incliner devant elle par habitude, même lorsqu’ils pourraient résister. A force d’obstination, on finit par les décider à agir, et lorsque, par une nuit pluvieuse, un maître de poste se voit harcelé par un voyageur incommode, il est rare qu’il ne préfère pas son sommeil à celui de ses cochers et ne finisse par donner des chevaux, comme les règlemens l’y obligent. En quatre jours, entre Kiakhta et Tchita, on me jura gravement, à cinq reprises, que j’exposais ma vie en tentant de passer à gué des rivières ou de les faire traverser à mon équipage sur des bateaux ou des radeaux qui ne devaient porter que des poids légers, et une seule fois j’eus de sérieuses difficultés qui m’obligèrent, de concert avec mon cocher et mon compagnon, à décharger mon tarantass resté en panne au milieu d’un gué et à travailler plus d’une heure dans l’eau froide, au petit jour, à dégager une roue enfoncée dans un creux. Encore y serais-je resté plus longtemps, si deux cavaliers Bouriates, passant là par hasard, n’avaient prêté leurs chevaux pour nous tirer de ce mauvais pas ; mais, en général, les difficultés que j’ai rencontrées avaient été fort exagérées. Je dois dire que le désir d’exploiter un étranger n’était peut-être pas sans y contribuer.
C’est dans les stations de poste que la patience du voyageur est mise à la plus rude épreuve, c’est là, plus que partout ailleurs, qu’il se pénètre de la vérité de cet aphorisme : In Siberia time is no money, par lequel un auteur anglais commençait le récit de sa traversée de la Sibérie. C’est toujours avec inquiétude qu’on franchit la porte, précédée de deux poteaux cerclés de blanc et de noir, de ces maisons qui deviennent de plus en plus tristes à mesure qu’on s’avance vers l’est. A vos anxieuses interrogations le maître de poste hirsute, assis devant un registre graisseux, répond en général