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attendant, il envoya un officier d’état-major vers Mont-Saint-Jean afin de voir exactement l’état des choses. Celui-ci, trompé par le grand nombre de blessés et de fuyards qui gagnaient les derrières, vint rapporter que les Anglais étaient en pleine retraite. Zieten, craignant d’être entraîné dans une déroute sans nul avantage pour l’armée alliée, fit aussitôt tête de colonne à gauche pour rallier Bülow entre Frischermont et le bois de Paris. Muffling, en observation au-dessus de Papelotte, aperçut ce mouvement. Il mit son cheval au grand galop, rejoignit Zieten, le renseigna plus sérieusement et le conjura de se porter à la gauche des Anglais. « — La bataille est perdue, s’écria-t-il avec véhémence, si le 1er corps ne secourt pas le duc ! » Après avoir beaucoup hésité, Zieten se rendit aux raisons de Müffling et reprit sa première direction.

La tête de colonne de Zieten débouchait de Smohain quand la garde descendait vers la Haie-Sainte. Déjà des troupes se repliaient à la vue des Prussiens. L’Empereur accourut près d’elles, les harangua ; elles se reportèrent en avant. Un nouveau corps ennemi faisant irruption sur l’angle d’équerre de nos deux lignes de bataille, c’était le coup de grâce. Mais, quoi qu’on en ait dit, il était trop tard pour battre en retraite. Si pourtant l’Empereur eut un instant l’idée de rompre le combat, cette pensée passa rapide comme l’éclair. En raison du désordre où se trouvaient déjà les troupes, de leur extrême dissémination et de la position avancée du corps de Bülow, une retraite eût été bien hasardeuse, et, se fût-elle opérée miraculeusement sans trop de pertes ni de confusion, à l’abri d’une digue formée incontinent au sommet du plateau de la Belle-Alliance avec tous les bataillons de la garde, quels lendemains elle préparait à Napoléon ! L’armée réduite de moitié (car le corps de Grouchy laissé isolé, coupé de sa ligne de retraite, paraissait voué à une destruction totale), la frontière ouverte, la France découragée, le patriotisme abattu, la Chambre passant de l’hostilité sourde à la guerre déclarée, partout l’intrigue, l’abandon, la trahison. Plutôt que revivre l’agonie de 1814, mieux vaut tenter un effort suprême et désespéré pour violer la Fortune rebelle.


VII

L’approche du 1er corps prussien n’eut d’autre effet sur l’Empereur que de lui faire précipiter son attaque. Six bataillons