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par les boulets, se mirent en retraite. En vain, le maréchal Ney les avait fait soutenir par quelques squelettes d’escadrons, notamment par les carabiniers. Dans ces charges partielles, qui se succédèrent presque jusqu’à la fin du combat, les cavaliers ne percèrent plus la ligne des batteries anglaises.

Tout aux charges de cavalerie, Ney, dans le feu de cette tumultueuse action, avait perdu de vue son premier objectif, la prise de la Haie-Sainte. Comme à Hougoumont, mais beaucoup moins ardente, la lutte continuait là sans aucun résultat. Et pourtant les intrépides défenseurs, munis seulement de soixante cartouches par homme, commençaient à ralentir leur feu. Le major Baring avait fait demander des munitions. On n’en avait pas, on lui envoya un nouveau renfort de deux compagnies.

Vers six heures, au moment où les divisions Foy et Bachelu s’avançaient vers le plateau, l’Empereur parcourait la ligne de bataille sous une pluie dobus et de boulets. Le général Desvaux de Saint-Maurice, commandant en chef l’artillerie de la garde, le général Lallemand, commandant les batteries à pied, Bailly de Monthyon, chef de l’état-major général, venaient d’être renversés à ses côtés, l’un tué, les deux autres grièvement blessés. Napoléon envoya l’ordre à Ney de s’emparer coûte que coûte de la Haie-Sainte. C’est une nouvelle proie désignée au maréchal, une nouvelle occasion de trouver la mort. Il accourt, entraîne quelques bataillons de Donzelot, un détachement du 1er régiment du génie et les jette contre la ferme. Les balles, tirées à dix mètres, à cinq mètres, à bout portant, clairsèment les assaillans. Des soldats cherchent à désarmer les Allemands en empoignant les canons des fusils dont l’extrémité dépasse les meurtrières. En un instant soixante-dix Français tombent au pied du mur de l’est. Leurs camarades montent sur le tas pour escalader le faîte du mur d’où ils fusillent dans la cour les chasseurs de Baring ; d’autres se hissent sur le toit de la grange. Le lieutenant Vieux, du génie, tué colonel sur la brèche de Constantine, attaque la porte charretière à grands coups de hache. Il reçoit une balle au poignet, une autre dans l’épaule. La hache passe de mains en mains, la porte cède enfin, et le flot fait irruption dans la cour. Acculés aux bâtimens, n’ayant plus de cartouches, les Allemands se défendent à l’arme blanche. Le major Baring, avec quarante-deux hommes — tout ce qui reste de ses neuf compagnies — perce la masse des assaillans et regagne Mont-Saint-Jean.