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pas nous qui le demandons, mais bien les radicaux et les socialistes ; et ils répondent : Rien !

Le ministère n’a encore pris aucune mesure contre le danger clérical ; et, par hasard, s’il s’était aperçu que ce « danger » n’existe pas, nous oserions l’en féliciter. Quant au danger du militarisme, les radicaux et les socialistes le dénonçaient naguère comme une conséquence de l’affaire Dreyfus, ou du moins de la manière dont elle avait été conduite. L’armée, à les entendre, reprenait trop d’importance dans le pays, et l’autorité civile en était, par comparaison, cruellement amoindrie. Nous avons dit également ce que nous pensions de ce prétendu péril ; mais les radicaux et les socialistes, qui le prennent au sérieux, ou même au tragique, ne constatent pas sans chagrin ni sans honte, qu’il a encore augmenté depuis que M. Brisson est chef du gouvernement et que M. Cavaignac est son ministre de la Guerre. On conçoit aisément qu’ils s’en plaignent, qu’ils invitent M. Brisson à rentrer en lui-même, à rougir, à montrer quelque contrition, à redevenir enfin ce qu’il était autrefois, lorsqu’il fulminait de si haut contre les défaillances de son prédécesseur.

Un fait surtout a porté leur inquiétude à son comble. Les dominicains d’Arcueil ont fait récemment leur distribution des prix. Le Père Didon, plus éloquent que mesuré dans ses paroles, comme à son habitude, prononçait un discours ; et de quoi parlait-il ? De l’esprit militaire. Il paraissait terriblement rempli de son sujet ! Et quel était son principal auditeur, qui relevait de sa présence l’éclat de la cérémonie ? Rien moins que le général Jamont, le successeur du général Saussier à la tête de nos armées en cas de guerre, enfin le généralissime. Nous ne connaissons pas le discours du Père Didon, mais, à n’en juger que par l’impression qu’il a produite, il semble que le général Jamont ait entendu là des choses auxquelles il ne s’attendait pas ; et peut-être n’est-il pas de très bon goût d’inviter un hôte pour le placer ensuite dans une situation embarrassante et fausse. Il faut rendre aux radicaux et aux socialistes la justice que si un pareil fait leur aurait paru intolérable sous M. Méline, il les scandalise aussi sous M. Brisson. Mais qui sait ? Peut-être les scandaliserait-il moins bruyamment si le parlement n’était pas en vacances et si la tribune était ouverte. Ils craindraient alors les conséquences immédiates des coups qu’ils portent, tandis qu’ils peuvent aujourd’hui se livrer à cette gymnastique de presse sans risquer de rien casser. Pour le moment, rassurés par leur impuissance, ils crient et ils tempêtent à qui mieux mieux, avec l’espoir de ramener M. Brisson, l’enfant prodigue, dans le giron abandonné.