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dire. Il a donc prononcé un discours, adroitement fait d’ailleurs, dans lequel, sur le fond des choses, il n’a pas pu dire et il n’a pas dit plus que son prédécesseur, mais où il a entr’ouvert le dossier Dreyfus pour en retirer, afin de les produire devant la Chambre, quelques-unes des preuves de culpabilité, à son avis les plus convaincantes. Dieu nous garde de discuter ces preuves, et de rentrer ou d’entrer à notre tour dans la discussion ! Ces preuves, au surplus, ne se rattachent pas toutes directement au procès Dreyfus : il en est qui ont été découvertes depuis. Mais, quelque valables qu’elles soient aux yeux de M. Cavaignac, ont-elles produit l’effet foudroyant qu’il en attendait et qu’il avait annoncé ? La parole libératrice nous a-t-elle libérés de quoi que ce soit ? Loin de là, M. Cavaignac a fourni des armes nouvelles aux partisans de Dreyfus, et il ne leur en a retiré aucune. Les demi-preuves qu’il a produites sont nécessairement trop partielles pour pouvoir être considérées comme irréfragables. Elles étaient d’ailleurs connues depuis longtemps, et il n’a fait que leur attribuer une consécration officielle. Mais il eût bien mieux fait encore de les laisser dans un dossier qu’on ne pouvait pas produire tout entier : d’faut qu’une porte soit ouverte ou fermée, et puisque M. Cavaignac ne pouvait pas l’ouvrir complètement, il aurait dû la tenir complètement fermée. C’est l’attitude qu’avaient adoptée MM. Méline et Billot. M. Méline disait qu’il n’y avait pas d’affaire Dreyfus : M. Cavaignac semblait reconnaître qu’il y en avait une, puisqu’il la discutait. Il a eu, nous en convenons, un éclatant triomphe parlementaire ; il a été couvert d’applaudissemens ; la Chambre, à l’unanimité des votans, a décidé que son discours serait affiché sur les murs de nos 36 000 communes. Mais, dès le lendemain, dans tous les journaux, « l’affaire » renaissait. Et si l’on savait gré, généralement, ù. M. Cavaignac, d’avoir dissipé la légende que nous ne pouvions rien dire sans provoquer des complications internationales, l’inutilité de son discours apparaissait ù tous les yeux.

Depuis, des événemens se sont produits, très imprévus en eux-mêmes et dont il serait impossible aussi de prévoir dès maintenant toutes les suites : nous voulons parler de l’arrestation simultanée du colonel Picquart et du commandant Esterhazy. Sans entrer dans le fond des choses, l’allure générale de cette affaire en partie double avait paru d’abord empreinte d’une certaine hardiesse. Vingt-quatre heures plus tard, on a su que l’arrestation du commandant Esterhazy était due à une initiative prise propria motu par un juge d’instruction, contre lequel se sont aussitôt tournées toutes les foudres d’un parti. Et puis, on n’a plus rien su du tout. L’obscurité s’est faite. Les bruits