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bien observés dans leur action naturelle. On a quelquefois fait un mérite à M. Zola de l’art avec lequel il fait mouvoir les masses. De ces mouvemens, il montre en effet les dehors et les surfaces ; mais nous doutons plus que jamais qu’il ait pénétré jusqu’aux causes profondes qui les déterminent. Et s’il les avait comprises ou paru comprendre dans ses romans, il faudrait dire qu’il les a complètement ignorées et oubliées lorsqu’il s’est mis lui-même en scène, et qu’il s’est trouvé aux prises avec les réalités.

Mais c’est trop parler de M. Zola : revenons au gouvernement actuel et au rôle qu’à son tour il s’est donné dans toutes ces affaires, si difficiles à coup sûr, si ardues, et qu’on a semblé s’appliquer à rendre inextricables.

Ici, l’homme agissant, ce n’est pas M. Brisson, président du Conseil ; ce n’est pas M. Sarrien, ministre de la Justice ; c’est M. Cavaignac, ministre de la Guerre. M. Brisson épuise toute son énergie à satisfaire ses amis par des hécatombes préfectorales : après cela, il tombe malade, ce qui est bien naturel. M. Sarrien, avant d’arriver au ministère, avait des incertitudes sur l’affaire Dreyfus ; il les a communiquées à M. Ribot dans les conversations qui ont rempli le commencement de la crise ministérielle, et M. Ribot y a fait, depuis, allusion à la tribune ; mais le chemin de la place Vendôme a été pour M. le garde des Sceaux celui de Damas. Quant à M. Cavaignac, son opinion était faite depuis longtemps. Sa foi était robuste et même intransigeante. Pour lui, la culpabilité de Dreyfus ne faisait pas l’ombre d’un doute, et ce n’était pas seulement à ses yeux ce que M. Méline appelait une vérité légale, qui devait rester telle jusqu’à preuve juridique du contraire, c’était comme une espèce de dogme. M. Cavaignac n’a eu qu’un tort, qui est d’avoir voulu donner de cette vérité des preuves fatalement condamnées à rester incomplètes, et qui, dès lors, ne pouvaient agir sur les esprits que très incomplètement.

Déjà, sous l’ancien cabinet dont il était l’adversaire, M. Cavaignac avait reproché au général Billot de ne pas apportera la tribune ce qu’il appelait la parole libératrice, qui devait dissiper les derniers nuages planant sur Dreyfus. Le général Billot s’exténuait à répéter que Dreyfus était coupable, qu’il en avait la conviction et la certitude, qu’il y engageait son honneur de soldat et sa conscience d’honnête homme. Ce n’était pas encore assez. Que pouvait-on davantage, et quelle était enfin cette parole libératrice dont la puissance égalait celle d’un de ces mots cabalistiques qui, dans les contes de fées, font des miracles ? Une fois devenu ministre, M. Cavaignac était bien obligé de la