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la conscience publique : c’est précisément ce qu’ils désiraient. Ils espéraient aboutir par ces moyens indirects, dangereux, et coupables. N’ayant pas réussi à poser la question sur le terrain juridique, ils prétendaient la poser sur un autre. C’est à l’opinion elle-même qu’ils s’adressaient et ils commençaient par l’agiter. Le résultat de cette agitation devait être favorable à leurs vues : ils le croyaient du moins. Qu’importe le droit écrit ? Qu’importe la loi ? Qu’importe la procédure, — cette procédure qu’on dédaignait alors, et où on cherche aujourd’hui un refuge ? — Si un grand mouvement d’opinion ver ait à se produire, il exercerait sur le gouvernement une pression irrésistible. Il faudrait bien alors trouver un moyen quelconque de réviser le procès. Fata viam invenient. Et, en effet, on a provoqué un prodigieux mouvement d’opinion : mais il s’est formé contre M. Zola. Une pression à laquelle il était presque impossible pour eux de se soustraire a été, en effet, exercée sur les pouvoirs publics, mais tout juste dans le sens contraire à celui que M. Zola s’était proposé. On a demandé au gouvernement, qui n’en pouvait mais, de trouver des expressions encore plus fortes, d’inventer des mesures encore plus vigoureuses pour mettre fin à une campagne inqualifiable. Le patriotisme s’est non seulement ému, mais déchaîné. L’opinion s’est retournée contre les ennemis de l’armée avec la brutalité d’une avalanche. Et c’était justice ! Il fallait se rendre compte que, surtout dans un pays qui avait été militairement malheureux, mais qui conservait la fierté d’un grand passé et l’espoir d’un avenir réparateur, on ne touchait pas à l’armée impunément. Jusqu’au fond de nos campagnes, — on a pu le voir pendant la campagne électorale, — la libre nationale a tressailli.

Ainsi est née une seconde affaire, l’affaire Zola. Car, c’est de l’affaire Zola que nous sommes encombrés maintenant. M. Zola et ses amis affectent de l’appeler l’affaire Dreyfus, et de les confondre toutes deux. Rien n’est plus naturel de leur part puisque leur but est précisément de remettre l’affaire Dreyfus à flot, et leur but est manqué, s’ils ne parviennent pas à faire sortir l’affaire Dreyfus de l’affaire Zola. En ce moment, il n’y a pas d’autre question en jeu. M. Zola est tout prêt à plaider son procès, à une condition toutefois : c’est qu’on lui permette de ne rien dire de lui, ou d’en dire le moins possible, et de parler au contraire très longuement de Dreyfus. Il veut démontrer que Dreyfus est innocent, et transformer la cour d’assises de Versailles en une espèce de cour souveraine chargée de réviser l’arrêt du conseil de guerre. Il demande que la connexité des deux questions soit reconnue et établie, et tel est le sens du recours qu’il a introduit en cassation,