Mais le dessein secret de Mme de Staël était de se servir de ses trois émissaires pour soulever les communes contre les catholiques et former une ligue entre les protestans d’Angleterre et ceux de France : « Voilà le vrai but de cette mission soudaine. Votre Éminence n’aura pas de peine à penser que Necker est toujours derrière les rideaux ; De Lessart, ministre des Affaires étrangères, est la créature de Necker ; il a adopté le projet, et Rabaut, ministre protestant, est son protégé, le directeur de Mme Necker et le très humble serviteur de l’intrigante ambassadrice, fille de ce monstre que l’enfer a vomi des marais de Genève pour le malheur de la France. » Mme de Staël l’inquiétait beaucoup, faisait travailler son imagination. Deux mois plus tard, il lui imputait d’autres trames plus criminelles encore. Il affirmait que pour venger son ami Narbonne, tombé en disgrâce et renvoyé du ministère de la Guerre, cette républicaine, cette Genevoise furibonde avait juré de renverser la monarchie, qu’elle se proposait d’établir un comité pris dans l’Assemblée et de lui donner pour chef Narbonne, qui aurait prêté serment comme ministre national : « Le roi eût été conservé comme président, mais on aurait eu le soin de le représenter ensuite comme un être fort onéreux et très dangereux dans le nouvel ordre politique de choses, et on l’aurait éconduit avec une modique pension avant la fin de l’année, pour proclamer la république fédérative et un congrès à l’instar des États-Unis d’Amérique… Le peu d’ensemble qui règne parmi eux, ajoutait-il, a suspendu, peut-être momentanément, ce funeste projet. »
Le cardinal de Zelada se félicitait d’avoir un correspondant aussi exact, aussi infatigable, et l’accablait de complimens : « Les circonstances actuelles me font à présent attendre avec plus d’impatience que jamais l’arrivée de vos lettres ; je ne les lis pas, je les dévore, et le saint-père se fait une vraie satisfaction de lire d’un bout ; à l’autre vos feuilles et les pièces y jointes, qui vous méritent les plus grands éloges. » Cependant, on savait séparer la balle du grain et, de temps à autre, on mêlait aux louanges un mot d’avertissement : « Les détails innombrables dont est composé votre numéro 79 font toujours l’éloge de votre activité ; mais ils ne me fournissent point un sujet positif de réponse, ne voulant pas me livrer à des conjectures vagues et toujours incertaines ou à des déclamations bien plus inutiles encore. » On lui recommandait aussi « de ne rien hasarder », à quoi l’abbé répondait : « Je ne suis pas facile à croire et je sais toute l’importance qu’il y a à ne donner que des notions très sûres. Je ne crois pas, jusqu’à ce moment, m’être égaré, surtout pour les affaires de quoique conséquence,