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palmerstonienne, laquelle consistait à détourner le pays des réformes par de constantes diversions diplomatiques. En 1870, l’Angleterre, comme le reste de l’Europe, s’enferma dans une neutralité absolue pendant la guerre franco-allemande. Il est impossible de se dissimuler qu’à la cour, — tout allemande, — et dans le monde politique, les sympathies étaient toutes pour nos ennemis. Le peuple hésita ; puis, après nos malheurs, finit par se ranger de notre côté. À ce mauvais vouloir des dirigeans il y avait bien des raisons. La politique du second Empire avait créé une incurable défiance dans toute l’Europe. On a fait à Gladstone un crime personnel de l’abstention de son gouvernement. Il est certain, néanmoins, qu’il n’aurait pu à lui tout seul provoquer une intervention. Et pourquoi le rendre responsable individuellement d’un état d’âme général ? Autant, d’ailleurs, à mon avis, il est juste de blâmer, au nom de l’Europe et de ses intérêts, l’indifférence avec laquelle gouvernemens et peuples virent s’accomplir le crime d’une annexion qui reculait d’un siècle le droit des gens et qui faussait peut-être pour un siècle aussi la politique occidentale, autant il serait injuste de reprocher au ministre d’une puissance étrangère de ne s’être pas uniquement placé en cette crise au point de vue des intérêts et des vœux de la France. Que l’on condamne ceux qui n’ont pas su être Européens, rien de mieux ; mais peut-on faire à un Anglais un grief de n’avoir point été Français ?

Disraeli s’installant au pouvoir, Gladstone renonçait à la lutte. Il notifia sa retraite à son parti. Les raisons qu’il invoquait, c’était son âge : à soixante-cinq ans, il souhaitait mettre un intervalle de méditation entre la vie et la mort ; le manque d’accord entre ses vues et celles de la majorité ; la nécessité d’un rajeunissement du commandement. Achille rentrait sous sa tente, blessé de l’ingratitude du pays. On lui donna pour successeur le marquis de Hartington, une honnête médiocrité porphyrogénète. Gladstone reprit avec délices le ceste théologique. Il avait livré au nom de la liberté et de l’anglo-catholicisme, à Disraeli, champion édifiant du protestantisme, un combat mémorable à propos du projet des deux archevêques de Cantorbery et d’York, tendant à réprimer judiciairement les infractions du clergé ritualiste à la discipline ecclésiastique. Il prit les armes contre les ultramontains, lança son pamphlet contre le vaticanisme et l’infaillibilité et en vint aux mains avec son ancien ami Manning, devenu cardinal-archevêque