Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 148.djvu/695

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et qui peuvent confier le règlement de leur vie immobilisée à la simplicité de l’heure locale ou de l’heure nationale. On conçoit, d’autre part, que les administrations de chemins de fer, de paquebots, de télégraphes, de câbles sous-marins, de téléphones, n’aient aucun souci de respecter les convenances de ces sédentaires. Elles aussi ont par le monde une immense clientèle à satisfaire. C’est pour les besoins de ces négocians, de ces banquiers, de ces armateurs, de ces ingénieurs, de ces industriels, de ces voyageurs, de ces diplomates, de ces hommes politiques, en un mot pour les exigences de la vie internationale, que la coordination des heures a été instituée.

D’ailleurs, cette unification intérieure n’était pas même applicable à tous les pays. Elle convenait sans doute assez bien à la plupart des États européens, dont l’étendue est restreinte. Elle ne s’adaptait plus aux pays tels que la Russie, les États-Unis, le Canada, qui atteignent un immense développement en longitude. La raison en est simple. Elle réside dans cette condition essentielle imposée par la nature des choses, à savoir que l’heure conventionnelle, quelle qu’elle soit, par laquelle on remplace l’heure solaire vraie, ne doit pas différer notablement de celle-ci. Il ne faut pas que l’écart dépasse quelques minutes, et, par exemple, trente ou quarante-cinq au maximum. Les habitudes de la vie journalière sont réglées sur le cours du soleil, plus ou moins exactement. Le jour est consacré au labeur, la nuit au repos : notre lever, notre coucher, nos repas, le début et la fin de nos occupations répondent à peu de chose près aux mêmes phases du cours du soleil. Il est donc nécessaire que, dans chaque lieu, à ces phases solaires identiques, ramenant les mêmes actes de la vie civilisée, répondent des désignations horaires identiques, ou du moins peu différentes. Une convention horaire qui nous amènerait à dire : « Il était neuf heures du soir ; le soleil se levait à l’horizon ; le paysan commençait son labour, » serait condamnée du coup[1]. Nous accomplissons les mêmes actes aux mêmes momens du jour, aux mêmes périodes de la course du soleil ; il est naturel que la notation horaire de ces momens soit sensiblement homonyme. À cette condition, la connaissance de l’heure devient un renseignement plein d’utilité. Si je sais qu’à l’instant présent il est minuit à New York, je me représente la grande cité endormie,

  1. C’est précisément à ce résultat qu’aboutirait le système de l’heure universelle de Greenwich appliqué à des pays éloignés tels que le Japon.