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une correction nouvelle, une addition ou une soustraction d’un nombre de minutes et de secondes que rien ne fait connaître a priori ou ne permet de fixer dans la mémoire.

Dans les petits États l’inconvénient s’exagérait encore. Ils étaient empêtrés dans un réseau inextricable d’heures différentes. Le grand-duché de Luxembourg avait, par exemple, en outre des heures locales, l’heure normale de Luxembourg en usage sur quelques lignes (Prince-Henri et lignes secondaires) ; le contact de l’heure française (en retard de 15 minutes) dans la direction Luxembourg-Longwy ; le contact de l’heure belge (en retard de 7 minutes) dans la direction Arlon-Bruxelles ; sur les lignes allemandes, l’heure de Berlin (en avance de 29 minutes), pour le personnel technique. Un même train était indiqué, suivant l’horaire que l’on consultait, comme partant à des heures différentes. Sur les lignes de l’État hollandais, peu étendues cependant, on avait affaire à quatre espèces d’heures différentes. Sur le lac de Constance, dont cinq États sont riverains : la Suisse, le grand-duché de Bade, le Wurtemberg, la Bavière et l’Autriche, les voyageurs d’une rive à l’autre se trouvaient aux prises avec cinq heures officielles discordantes.

L’Orient-Express dans son trajet de Paris à Constantinople traverse dix États différens. Avant la réforme des fuseaux il rencontrait huit heures diverses. Les horloges de l’Alsace avançaient sur celles de Paris de 23 à 27 minutes ; à Kehl, nouvelle avance de 2 minutes ; à Mülhbacher (frontière wurtembergeoise) de 3 minutes ; de 10 minutes à Ulm en Bavière ; de 11 minutes à Simbach (Autriche) ; de 19 minutes à Bruck (Hongrie) ; de 6 minutes à Belgrade (Serbie) ; de 34 minutes à Tsaribrod pour la Bulgarie et la Turquie. C’est, au total, une avance de près de deux heures (1 h, 52 minutes) qui se faisait en huit reprises ou, comme on l’a dit, « qu’il fallait avaler en huit gorgées. » On se rend compte de la confusion des horaires, des embarras du service de la voie ferrée, et enfin des ennuis du voyageur qui n’est plus sûr de sa montre ni d’aucune heure ; il n’est plus certain qu’une dépêche envoyée en cours de route arrivera à temps, avant la fermeture d’un bureau éloigné, avant la fin d’une cérémonie, avant l’ouverture d’une séance, avant ou après la fermeture de la Bourse. Sans doute il n’est pas donné à tout le monde d’aller à Constantinople ou de lancer des dépêches à travers l’Europe. Il y a peut-être une majorité de braves gens qui ne sortent pas de leur trou