Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 148.djvu/69

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

adversaires. Gladstone n’avait nullement envie de laisser prendre haleine à l’opinion haletante. Bûcheron inlassable, il avait résolu de porter la hache dans le tronc de l’arbre maudit qui empoisonnait l’atmosphère de l’Irlande. Après l’église, la propriété foncière. Il aborda de front ce terrible problème agraire. Tout le mal venait de l’application à l’Irlande du système anglais. Autant celui-ci était à sa place en Angleterre où la société, le sol, le climat, l’histoire, les lois, les mœurs s’unissaient pour justifier ce partage des droits et des profits entre le propriétaire, le tenancier et le laboureur, autant il était contraire à la justice et au bien public en Irlande. C’était la rapine légalisée. Dans l’Ulster, où une race de fermiers protestans et anglo-saxons avait pu lutter, un régime d’exception s’était établi qui assurait au tenancier la fixité de son bail, qui limitait le taux des fermages et qui permettait la cession à prix d’argent du contrat de location. Gladstone comprit que la question agraire était à la racine des souffrances de l’Irlande. Il crut qu’il suffirait de guérir cette plaie pour mettre fin aux chimères séparatistes et pour cimenter l’union. Il se proposa d’étendre autant que possible à toute l’Irlande la coutume qui en Ulster avait produit de si heureux résultats. Cette première tentative ne réussit pas. Elle ne le pouvait point. Elle n’en fut pas moins le point de départ d’une évolution législative à laquelle les conservateurs eux-mêmes ont aidé et qui aura peut-être pour dernier terme la pacification agraire.

D’autres soins occupaient le ministère libéral. Pour la première fois, l’État prit en main l’enseignement primaire. C’était la conséquence de l’avènement de la démocratie : il fallait bien instruire les nouveaux maîtres de l’État. M. Forster fut, dans cette œuvre, l’éminent auxiliaire de Gladstone. Il posa les bases de l’admirable système qui, parallèlement aux écoles confessionnelles où plus des deux tiers des enfans font encore leurs classes, a créé les écoles publiques, a institué, pour les gérer, les conseils locaux électifs (avec admission des femmes), a réglé l’application du principe de l’obligation et a préparé l’établissement de la gratuité. Ce qu’il y eut de plus remarquable dans l’œuvre de Forster, ce fut le souci de la liberté de conscience. Il mit celle des écoliers sous la sauvegarde de la loi. Il respecta celle des parens en les laissant libres de placer leurs enfans où bon leur semblerait. Ce fut pourtant la question religieuse, confessionnelle, qui suscita le plus d’embarras. Quelques partisans extrêmes de la neutralité