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à Bruxelles, non seulement pour y faire leurs portraits et ceux des princes auxquels ils offraient l’hospitalité, mais pour s’entretenir avec lui de tous les sujets qui les intéressaient. Outre le charme de sa conversation, ils avaient de plus en plus, à l’usage, apprécié la droiture de son esprit, sa discrétion, son dévouement. Dans les circonstances difficiles où ils gouvernaient, ils avaient compris de quelle utilité pouvait leur être un tel homme. L’idée de le charger de missions politiques devait naturellement leur venir à l’esprit. A côté des ministres accrédités près des cours étrangères, un agent sans titre officiel, mais intelligent et bien posé dans l’opinion, était à même de leur rendre bien des services. Peut-être Rubens fut-il au début flatté de l’honneur qu’on lui faisait en l’associant ainsi au maniement des affaires de l’État. Il devait bientôt payer cher cet honneur et n’en plus sentir que le poids. Obligé de s’éloigner de son intérieur, perdant en longues attentes et en vaines démarches le temps dont il aurait fait un si bon emploi, le grand artiste sut toujours, avec un tact parfait, maintenir sa dignité dans les délicates négociations auxquelles il fut mêlé et servir ses souverains avec autant de dévouement que de loyauté. Les défiances et même les injures des diplomates de carrière ne lui avaient cependant pas été épargnées lorsqu’il s’était par hasard trouvé en contact avec eux. Ainsi que le disait un de ces ambassadeurs vénitiens dont la perspicacité était si rarement en défaut, ils avaient bien des raisons de voir d’un mauvais œil l’intervention de cet intrus qui sur leur propre terrain montrait des qualités d’intelligence et de pénétration plus grandes que les leurs. Il avait sur eux, du reste, un autre avantage et sa profession de peintre, qui le faisait tenir par eux pour un assez mince personnage, constituait, en réalité, pour lui une supériorité très positive. Elle lui procurait, en effet, un facile accès auprès des souverains auxquels ils étaient eux-mêmes contraints de demander des audiences qu’ils n’obtenaient parfois qu’avec peine, audiences souvent écourtées, toujours limitées à l’objet spécial qui les avait motivées. Rubens, au contraire, pendant les longues séances où ces souverains posaient devant lui, pouvait les questionner ou les renseigner à sa guise, son tact naturel lui permettant, suivant les dispositions où il les trouvait, d’aborder avec les ménagemens voulus telle question, de s’avancer ou de se replier, de pressentir ou de connaître leur pensée, de les incliner même vers les solutions désirables. Homme de bonne compagnie,