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Aussi était-il très recherché et par des gens de conditions très différentes. Il se voyait donc obligé de défendre sa vie. Ceux qu’il admettait dans son intimité, sachant combien son temps était précieux, ne comptaient pas ses visites et connaissaient les heures où, sans craindre d’être indiscrets, ils pouvaient le trouver chez lui. C’étaient d’abord ses confrères qui venaient lui demander des services ou des conseils ou qui désiraient s’entretenir avec lui de leur art. Avec les Romanistes, il évoquait les souvenirs de l’Italie, de ses monumens et de ses chefs-d’œuvre ; avec ses amis, Rockox et Gevaert, il aimait à deviser de littérature, d’archéologie, ou des affaires mêmes de la ville d’Anvers à la gestion desquelles ils étaient associés. La vue de ses collections, le maniement de ses pierres gravées et de ses médailles leur fournissaient l’occasion de commentaires savans ou ingénieux. Avait-il fait quelque nouvel achat, il était heureux de le leur soumettre, d’avoir leur appréciation. Les ecclésiastiques, les érudits, les hommes d’État goûtaient aussi son commerce ; à chacun il parlait son langage et se faisait aimer de tous.

Le maître était-il seul, il profitait des momens de la soirée pour écrire à ses amis absens. Sa correspondance très étendue, très régulière et très suivie avec ceux qui lui étaient chers nous aide singulièrement à le bien connaître[1]. Rubens a été en relations épistolaires avec les souverains, les princes, les savans ou les amateurs les plus distingués de son temps. Il possédait à fond plusieurs langues et les nombreuses lettres de lui qui nous ont été conservées témoignent de l’aisance avec laquelle il maniait le latin, le flamand, l’espagnol et le français. Mais c’est l’italien qui lui était le plus familier et son long séjour au delà des monts lui avait permis d’en bien posséder toutes les ressources. Aussi est-ce l’italien qu’il emploie de préférence quand il écrit à ceux de ses amis qui comprennent cette langue. S’il dit éprouver quelque embarras à s’exprimer dans une autre, en français par exemple,

  1. Cette correspondance a fait l’objet de plusieurs publications successives, dues à MM. Gachet, Carpentier, Sainsbury, Baschet, Cruzada Villaamil, Gachard et Rosenberg. La plus complète, éditée aux frais de la municipalité d’Anvers et confiée d’abord aux soins de M. Rubens, a été interrompue par la mort de ce dernier. Tous les admirateurs de Rubens apprendront, avec la plus vive satisfaction, que M. Max Rooses a été chargé de continuer et de mener à bonne lin ce bel ouvrage, véritable monument élevé à la gloire du maître par la ville d’Anvers. Personne n’était mieux préparé pour une pareille tâche que le savant directeur du musée Plantin, qui a déjà si bien mérité de la critique en nous donnant son grand travail sur l’Œuvre de Rubens, fruit de ses longues et heureuses recherches.