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florins, somme très considérable pour cette époque. Tout cela est bien la marque d’une grande existence ; mais, parvenu au faîte de la réputation et de la grandeur, l’artiste a conservé son esprit d’ordre et de sagesse pratique. Si à l’occasion il se montre généreux et sait toujours soutenir son rang, il veille avec le plus grand soin à la gestion de son bien et ne veut rien laisser perdre. La lettre qu’il écrit de Steen à son élève Faydherbe resté à Anvers, et les recommandations minutieuses qu’il lui adresse « de prendre bien garde que tout soit bien fermé, que rien ne traîne dans son atelier », ainsi que la prière ajoutée en post-scriptum de « rappeler à son jardinier de lui envoyer en leur temps des poires de Rosalie et des figues quand il y en aura, » sont significatives à cet égard. Jusqu’au bout, il observera la même vigilance dans l’administration assez compliquée de ses biens, sans jamais se départir de ce principe dont il s’est fait une règle de conduite, que, pour ne pas être importuné par le souci des affaires, il faut s’en occuper en temps utile, et ne jamais les remettre au lendemain.

Il n’est pas moins scrupuleux de bien occuper son temps, et grâce à la discipline qu’il s’est imposée, sans jamais se presser, il vient à bout d’une infinité de tâches. Non seulement son activité est extrême, mais elle est surtout merveilleusement réglée. Les indications que nous fournit de Piles nous permettent de reconstituer l’emploi de ses journées. D’abord il est très matinal. Levé dès quatre heures, « il se fait une loi de commencer par entendre la messe. » C’était là pour lui, avant de reprendre sa vie active, un moment de recueillement, d’aspirations élevées et de bonnes résolutions. Faisant taire en lui ces passions qui germent et grondent au fond de toute âme humaine, même chez les plus nobles, et plus fortement encore chez les plus agissantes, il conquiert, au début de sa journée, cette pleine possession de soi-même que va réclamer son travail. De retour chez lui. il se met aussitôt à l’ouvrage. Quand il peint, ainsi que nous l’apprend de Piles, — et nous avons vu que le récit de la visite du Danois Otto Sperling confirme son témoignage, — « il a toujours auprès de lui un lecteur à ses gages qui lui lit à haute voix quelque bon livre, mais ordinairement Plutarque, Tite-Live ou Sénèque. » Nous doutons fort cependant, non pas qu’on fît ainsi la lecture à Rubens, mais du moins qu’il l’écoutât avec une attention bien soutenue toutes les fois qu’il travaillait. Si certaines tâches lui laissaient assez de