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enseignemens qu’il tirait de la vue des monumens du passé et du commerce des érudits. Tout en employant la plus grande partie de ses journées à la peinture, il ne négligeait aucune occasion d’assister aux fouilles qui se faisaient alors et de dessiner les ruines de la Ville éternelle ou les statues, les médailles et les pierres gravées recueillies chez des amateurs tels que le cardinal Farnese, Horace Vittorio et Fulvius Orsini. Lorsqu’il intervient dans les discussions que provoquent tant de trésors récemment exhumés, son talent de dessinateur lui donne sur les lettrés une supériorité manifeste. Les croquis nombreux qu’il accumule dans ses cartons lui permettent bien mieux qu’à eux de comparer, de fixer dans sa mémoire les formes exactes des objets et de déterminer par conséquent avec plus de précision leurs différences ou leurs analogies, leur caractère et leur style. Il arrive ainsi à développer en lui, comme le disait son frère, « une finesse et une sûreté de jugement » qui le rendirent à la longue un connaisseur très expert.

Rubens devait conserver toute sa vie cette ardeur pour l’étude de l’antiquité. Partout où il allait, en France, en Espagne, en Angleterre, il cherchait à se mettre en rapport avec les archéologues et à augmenter ses collections. Lors de la cession qu’il en fit à Buckingham, nous voyons que des bas-reliefs, des statues, des bustes, parmi lesquels ceux de Cicéron, de Chrysippe et de Sénèque, étaient compris dans cette vente, ainsi que douze boîtes remplies d’agates et de pierres gravées. C’est entouré de ces souvenirs du passé qu’il aimait à s’entretenir avec ceux de ses amis qui partageaient ses goûts, comme le bourgmestre d’Anvers Nicolas Rockox et le greffier de la ville G, Gevaert. L’archéologie occupe aussi la plus grande place dans la correspondance qu’il entretient avec ses amis de France : Peiresc, Valavès, les Du Puy. Dans les questions délicates que ceux-ci lui soumettent, ils apprécient la justesse de son esprit, son savoir, sa prudence, et son goût très exercé. Est-il besoin d’ajouter qu’en ces matières si neuves, les solutions qu’il propose sont parfois plus ingénieuses qu’exactes et que bien des erreurs s’y mêlent à des considérations fines et sensées ? C’est en vain, par exemple, qu’on chercherait chez lui quelque trace d’une distinction entre l’art grec et l’art romain. Mais personne à cette époque ne songeait à une pareille distinction ; on confondait alors sous le nom d’antiques des œuvres d’origine et de mérite bien différens et l’antiquité pour