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anglo-catholiques, qui faisaient grand fond sur lui, contribuaient à le retenir dans la communion tout au moins laïque du torysme. Représentant d’Oxford, il ne concevait pas à cette époque qu’il pût traîner ce titre sacro-saint dans les mauvais lieux du libéralisme. Il réservait sa collaboration pour l’organe officiel du torysme, la Quarterly Review. L’opinion générale était qu’il ne tarderait pas à rentrer dans les rangs conservateurs et qu’il y obtiendrait, facile princeps, le premier rang. Cette prévision ne tenait un compte suffisant, ni de certaines particularités du caractère et de l’esprit de Gladstone, ni de certaines circonstances décisives. Grâce aux premières, l’ébranlement imprimé à ses convictions par le contact des réalités administratives ne pouvait plus s’arrêter. Autant l’esprit de Gladstone était incapable de créer de toutes pièces un grand système politique, de poser quelque principe universel et d’en tirer, par une déduction théorique, les dernières conséquences, autant il devait subir peu à peu l’influence des faits, laisser se dérouler lentement cette dialectique expérimentale et positive, si puissante sur les entendemens pratiques, et arriver en quelque sorte de biais, pas à pas, par des chemins de traverse, mais par une marche continue, à la vérité. Le germe déposé dans sa raison dès 1842 ne devait cesser de grandir et de se développer ; la doctrine du libre-échange commercial devait fermenter comme un levain dans son intelligence. En tout cas, il était hors d : état de se prêter aux avances d’un parti dont tout l’actif consistait alors dans la profession obstinée des principes protectionnistes.

Un autre obstacle s’opposait à sa rentrée. Disraeli avait profité avec adresse de la crise de 1846. Brusquement abandonnés, — ils disaient : trahis par leur chef et la plupart de ses lieutenans, — les tories éprouvaient le double besoin de se venger et de se procurer des officiers. Il leur restait bien lord Derby, définitivement passé au parti de la résistance et du privilège : mais il siégeait à la Chambre des Lords. Aux Communes, les gentilshommes campagnards qui formaient le gros de l’armée, grands chasseurs devant l’Éternel, ne possédaient guère le don de la parole articulée. A tout prix, il leur fallait un condottiere parlementaire sans scrupules, pour manier le stylet et frapper les traîtres. Disraeli vil sa chance ; il la saisit. Lord George Bentinck, grand seigneur qui faisait de la politique comme du sport, l’engagea comme il aurait fait d’un entraîneur ou d’un jockey. L’élégant un