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d’empêcher cette jonction ; et, s’il était permis cependant de conjecturer qu’il allait manœuvrer à cet effet en se portant sur Wavres, il y semblait mettre bien peu de hâte, puisque, à six heures du matin, il n’avait pas encore quitté Gembloux. Sans doute, l’Empereur pouvait espérer que les Prussiens marcheraient droit sur Bruxelles ; mais il était très possible aussi qu’ils rejoignissent l’armée anglaise par un mouvement de flanc.

Pour parer à ce danger éventuel, l’Empereur cependant avait songé bien tardivement à envoyer de nouvelles instructions à Grouchy. La lettre du maréchal avait dû, à moins d’un retard possible, mais très improbable, arriver au quartier impérial entre dix et onze heures. Et c’est seulement à une heure, quelques instans avant d’apercevoir les masses prussiennes sur les hauteurs de Chapelle-Saint-Lambert, que l’Empereur fit écrire à Grouchy : « Votre mouvement sur Corbais et Wavres est conforme aux dispositions de Sa Majesté. Cependant l’Empereur m’ordonne de vous dire que vous devez toujours manœuvrer dans notre direction et chercher à vous rapprocher de l’armée afin que vous puissiez nous joindre avant qu’aucun corps puisse se mettre entre nous. Je ne vous indique pas de direction. C’est à vous de voir le point où nous sommes pour vous régler en conséquence et pour lier nos communications ainsi que pour être toujours en demeure de tomber sur quelques troupes ennemies qui chercheraient à inquiéter notre droite et de les écraser. »

Cette dépêche n’était pas encore expédiée quand apparurent au loin les colonnes prussiennes. Peu d’instans après, l’Empereur, ayant interrogé le hussard prisonnier, fit ajouter ce post-scriptum : « Une lettre qui vient d’être interceptée porte que le général Bülow doit attaquer noire flanc droit. Nous croyons apercevoir ce corps sur les hauteurs de Saint-Lambert. Ainsi ne perdez pas un instant pour vous rapprocher de nous et nous joindre, et pour écraser Bülow que vous prendrez en flagrant délit. »

L’Empereur ne fut donc pas autrement déconcerté. Tout en jugeant que sa situation s’était gravement modifiée, il ne la regardait pas comme compromise. Le renfort survenu à Wellington ne consistait après tout qu’en un seul corps prussien, car le prisonnier n’avait point dit que toute l’armée prussienne suivît Bülow. Cette armée devait être encore à Wavres. Ou Grouchy allait l’y joindre, l’y attaquer et conséquemment la retenir loin de Bülow ; ou, renonçant à poursuivre Blücher, il marchait déjà sur Plancenoit,