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feu. De l’autre côté du vallon, à 1 400 mètres à vol d’oiseau, étaient massés 67 000 Anglo-Alliés. Jamais, dans les guerres de la Révolution et de l’Empire, si grand nombre de combattans n’avait occupé terrain si resserré[1]. De la ferme de Mont-Saint-Jean, emplacement des dernières réserves de Wellington, à Rossomme, où était la vieille garde, il n’y a pas une lieue, et le front de chacune des armées ne dépassait guère trois mille mètres. Les croupes des plateaux étant très découpées, les deux armées, bien qu’en ordre parallèle, ne se trouvaient point alignées d’équerre. L’aile droite anglaise débordait sur le centre en décrivant un segment de cercle, et l’aile gauche était en recul. L’armée française, ayant la droite en avant, le centre de la gauche un peu en arrière et l’extrémité de l’aile gauche en flèche, formait une ligne concave et enveloppante.

Il était près de onze heures, et il s’en fallait que les troupes fussent toutes arrivées sur leurs positions. L’Empereur pensait même ne point pouvoir commencer l’attaque avant une heure de l’après-midi. Il revint à son observatoire de Rossomme où il dicta l’ordre suivant : « Une fois que toute l’armée sera rangée en bataille, à peu près à une heure après-midi, au moment où l’Empereur en donnera l’ordre au maréchal Ney, l’attaque commencera pour s’emparer du village de Mont-Saint-Jean, où est l’intersection des routes. A cet effet, les batteries de 12 du 2e corps et celles du 6e se réuniront à celle du 1er corps. Ces vingt-quatre bouches à feu tireront sur les troupes de Mont-Saint-Jean, et le comte d’Erlon commencera l’attaque en portant en avant sa division de gauche et en la soutenant, suivant les circonstances, par les autres divisions du 1er corps. Le 2e corps s’avancera à mesure pour garder la hauteur du comte d’Erlon. Les compagnies de sapeurs du 1er corps seront prêtes pour se barricader sur-le-champ à Mont-Saint-Jean. »

Cet ordre ne laisse aucun doute sur la pensée de l’Empereur. Il veut purement et simplement percer le centre de l’armée anglaise et le rejeter au delà de Mont-Saint-Jean. Une fois maître de cette position, qui commande le plateau, il agira selon les circonstances contre l’ennemi rompu et désuni ; déjà il aura virtuellement

  1. D’après l’ordonnance actuelle, la première ligne française (7 divisions d’infanterie et 2 de cavalerie) aurait normalement un front de quatre lieues.