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pourquoi les troupes anglaises alternaient sur la ligne de bataille avec les divers contingens alliés. Il voulait que ceux-ci fussent partout solidement encadrés.

Défalcation faite des pertes subies le 16 et le 17 juin, le duc avait dans la main 67 700 hommes et 156 bouches à feu. Il aurait pu concentrer à Mont-Saint-Jean un plus grand nombre de combattans ; mais, toujours inquiet pour ses lignes de communication avec la mer et craignant qu’un corps français ne tournât sa droite, il avait immobilisé entre Hall et Enghien, — à quatre lieues à vol d’oiseau de Mont-Saint-Jean, — environ 17 000 hommes et 30 pièces de canon, sous le prince Frédéric des Pays-Bas. Faute capitale que ce détachement la veille d’une bataille, pour parer à un danger chimérique ! Comme l’a très justement dit le général Brialmont, « on ne s’explique pas que Wellington ait pu attribuer à son adversaire un plan d’opérations qui devaient hâter la jonction des armées alliées, quand, depuis le début de la campagne, Napoléon manœuvrait évidemment pour empêcher cette jonction[1]. »

Pendant que les troupes prenaient leurs emplacemens, Wellington, accompagné de Müffling et de quelques officiers, parcourait la ligne de bataille. Il examina en détail toutes les positions et descendit jusqu’à Hougoumont. Souvent, il braquait sa lunette sur les hauteurs occupées par les Français. Il avait son cheval préféré, Copenhague, superbe pur sang bai-brun, qui s’était aguerri à Vittoria et à Toulouse. Wellington portait sa tenue ordinaire de campagne : pantalon de peau de daim blanc, bottes à glands, habit bleu foncé et court manteau de même nuance, cravate blanche, petit chapeau sans plumes, orné de la cocarde noire d’Angleterre et de trois autres, de moindre dimension, aux couleurs du Portugal, de l’Espagne et des Bas-Pays. Il était très

  1. Napoléon prétend, il est vrai, qu’il avait envoyé, le soir du 17, vers Hall, un détachement de 2 000 chevaux, et que Wellington, informé de ce mouvement, en avait conçu la crainte d’être tourné. Mais cette assertion paraît douteuse. L’empereur n’indique pas à quel corps appartenait ce détachement ; il n’en est question dans aucune relation contemporaine, française ou étrangère, et, le soir du 17, la cavalerie était bien lasse, même pour ébaucher un si vaste mouvement tournant. Il semble donc probable que Napoléon, instruit à Sainte-Hélène, par des ouvrages anglais que Wellington avait porté 17 000 hommes à Hall, a imaginé après coup sa manœuvre de cavalerie. C’était se donner le mérite d’avoir réussi à paralyser par une feinte menace tout un corps ennemi. Quoi qu’il en soit, les ordres de Wellington prouvent que, dès le matin, le duc avait l’idée de se garder du côté de Hall et que le mouvement, réel ou prétendu, de la cavalerie française dans cette direction n’eut pas d’influence sur sa détermination.