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Vue de la Belle-Alliance, la grande route de Bruxelles, qui descend et remonte en ligne droite, semble très raide. C’est une illusion de perspective. En réalité, les pentes n’ont guère plus de deux degrés d’inclinaison. Un cavalier peut les gravir à un galop soutenu sans trop presser son cheval et sans l’essouffler. Mais à la droite comme à la gauche de la grande route, le sol très inégal s’escarpe en maint endroit. C’est une succession infinie de mamelons et de creux, de rideaux et de plis, de buttes et de sillons. Cependant, à le regarder des hauteurs, le vallon a l’aspect d’une plaine s’étendant sans dépressions marquées entre deux collines d’un très faible relief. Il faut passer à travers champs pour voir ces mouvemens de terrain incessans et onduleux, comparables aux houles de la mer.

Le chemin d’Ohain à Braine-l’Alleud, qui côtoie la crête du plateau de Mont-Saint-Jean et y coupe à angle droit la route de Bruxelles, couvre d’une ligne d’obstacles naturels presque toute la position anglaise. A l’est de la grande route, ce chemin est au ras du sol ; mais une double bordure de haies vives, hautes et drues, le rendent infranchissable à la cavalerie. A l’ouest, le terrain se relevant brusquement, le chemin d’Ohain s’engage entre deux talus de cinq à sept pieds ; il forme ainsi, l’espace de 400 mètres, une redoutable tranchée-abri. Puis il se retrouve de niveau et continue son parcours sans présenter désormais d’autres obstacles que quelques haies éparses[1]. En arrière de la crête qui

  1. Je devrais employer l’imparfait au lieu du présent, car dès 1825, Wellington disait, au retour d’une excursion à Mont-Saint-Jean, qu’on lui avait changé son champ de bataille. Plusieurs bois, ainsi que la partie de la forêt de Soignes qui entourait Waterloo au nord, ont été défrichés. Les haies qui couronnaient le chemin d’Ohain à l’est de la grande route de Bruxelles ont été arrachées. Enfin, des talus qui bordaient ce chemin à l’ouest de la grande route, jusqu’au chemin de Merbe-Braine, le talus intérieur existe seul encore partiellement. L’autre a été rasé lors des grands travaux de terrassement (1822-1823) exécutés pour l’érection du Lion-Belge sur l’immense butte conique artificielle que l’on aperçoit de partout, et qui de partout gâte le paysage.
    On répète sans cesse que pour édifier cette butte on a écrêté de deux mètres tout le plateau sur une superficie de 14 ou 15 hectares. (À ce compte, par quel miracle la berge intérieure du chemin d’Ohain existerait-elle encore ?) C’est une tradition erronée. Le plateau n’a pas été écrêté. Le sol du chemin d’Ohain qui en suit le bord est le sol primitif. L’emprise des terres a eu lieu seulement sur les rampes supérieures du coteau, à l’ouest de la route, depuis le potager de la Haie-Sainte jusqu’à la base actuelle de la Butte-du-Lion. Le talus extérieur du chemin a été rasé du même coup. Ces terres appartenaient à la famille Fortemps.
    On s’accorde à dire que la hauteur primitive du terrain déblayé est marquée aujourd’hui à peu près par le sommet du tertre qui supporte le monument du colonel anglais Gordon. Ce tertre n’est pas artificiel, comme il semble aux touristes. Le monument, érigé, en 1817, sur l’emplacement même où Gordon fut tué, s’élevait alors à peu près au niveau du sol. On a respecté ce terrain lors de terrassemens, on a enlevé les terres alentour, et il est resté comme une sorte de pyramide. Il semble aussi qu’on a rasé la berge escarpée qui bordait la route de Bruxelles à l’est depuis la sablonnière jusqu’au chemin d’Ohain. L’emplacement de la sablonnière est indiqué aujourd’hui par le tertre sablonneux où s’élève le monument des Hanovriens.