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principes de gouvernement, de cet abandon de toutes les saines doctrines qui étaient l’honneur des temps modernes, on grossit les armées, on augmente les armemens maritimes, on perfectionne les moyens de destruction, et, dans la prévision d’une conflagration que maudiront les futures générations, on engloutit, dans un gouffre sans fond, des ressources qui devraient être employées au soulagement des peuples et à l’amélioration de leur sort.

Conclurons-nous que le concert européen est une fiction, une conception stérile et peut-être dangereuse ? Certes, nous le jugeons, en ce moment, impropre à rendre d’utiles services au repos de l’Europe, uniquement défendu de nos jours par des groupemens hostiles ; mais le concert européen est l’image, la commémoration d’un passé dont il faut souhaiter le rétablissement ; et à ce titre, si nous pouvions exprimer un avis, nous ne conseillerions pas à notre gouvernement d’en sortir. Il est, dans tous les cas, un observatoire d’où l’on voit mieux les choses et que, dès lors, il ne faut pas déserter. S’il n’a pas su soustraire la Grèce à ses égaremens et à la défaite, s’il n’est pas encore parvenu à dompter l’orgueil du sultan ni à lui imposer l’exécution d’engagemens solennels, s’il a même, dans une certaine mesure, compromis ses propres avantages en Orient, il a pu sauvegarder la paix générale, et il n’est que juste de lui en savoir gré.

A vrai dire, cette guerre tant redoutée inspire, à toutes les puissances, des inquiétudes plus ou moins vives, et nous voulons croire qu’aucune ne la désire. Qu’un jour vienne cependant où une nation altière ou ambitieuse jugera qu’elle peut l’entreprendre avec de bonnes raisons d’en sortir victorieuse, et la guerre éclatera ; celle dont l’Europe est le témoin, en ce moment même, le démontre clairement. Que les États faibles ou menacés de le devenir retiennent et méditent l’avertissement que leur donnait naguère un premier ministre avec moins de convenance encore que d’opportunité. Caveant consules.

Cte BENEDETTI.