vœux de l’Europe, plus intraitable et plus enclin à lui résister ; les musulmans de l’empire en ont ressenti une fierté qu’ils ne dissimulent pas, et ils se montreront désormais plus impérieux et plus implacables.
Tels sont, il faut bien le confesser, les résultats du labeur des puissances réunies et qu’il faut bien porter au compte du concert européen[1]. A quelles causes doit-on les attribuer ? Les hommes d’État qui dirigent les destinées des grandes nations européennes ont-ils manqué de clairvoyance et de résolution ? A Dieu ne plaise que nous puissions le penser ! Ce qui leur a fait totalement défaut, c’est la confiance dans la loyauté de leurs sentimens respectifs, oserons-nous dire. En constante suspicion les uns envers les autres, ils n’ont jamais envisagé l’intérêt commun avec un entier désintéressement. On retrouve à tout moment, dans la correspondance officielle, les traces d’une réserve défiante qui le démontre clairement. A chaque proposition de l’un d’entre eux, les autres cabinets, dans la plupart des cas, se montrent disposés à y adhérer, pourvu qu’elle soit également agréée par tous ; plus souvent, on désire connaître l’avis de toutes les puissances avant d’émettre son propre sentiment ; aucun ne veut se découvrir avant d’être certain de se rencontrer avec la majorité pour éviter un piège s’il venait à se produire. Cette disposition, commune à tous, est la résultante du désordre dans lequel gît le droit public depuis qu’on en a méconnu les règles salutaires ; on le voit apparaître partout, en tous parages, même en Chine où les grandes puissances prennent violemment position pour les prochaines complications. Renonçant à maintenir leurs relations sur le terrain de la cordialité, elles ne consultent que les exigences de leurs propres intérêts et de leur sécurité. Et, pour pourvoir à toutes les éventualités qui peuvent soudainement surgir de cette confusion de tous les bons
- ↑ Peu de mois avant sa mort, M. Gladstone eut l’occasion d’exprimer son sentiment à ce sujet ; voici en quels termes il l’exprimait : « La douleur, la honte et l’abomination des deux dernières années, au point de vue de la question d’Orient, ne se peuvent rendre dans aucun langage que je connaisse. La situation se résume ainsi :
1° Cent mille Arméniens ont été massacrés sans que l’on ait obtenu aucune assurance pour l’avenir, et au seul profit des assassins ;
2° La Turquie est plus puissante qu’elle ne l’a jamais été depuis la guerre du Crimée ;
3° La Grèce est plus faible qu’en aucun temps depuis sa constitution en royaume ;
4° Tout cela est dû au concert européen, c’est-à-dire à la méfiance et à la haine qu’éprouvent les puissances les unes à l’égard des autres. « (Lettre publiée par le Daily Chronicle.)
Ce témoignage confirme toutes nos appréciations.